ANJA / C'est à partir de toi que j'ai dit oui au monde

Depuis quand vivez-vous à Chicago ? Je vis à Chicago depuis 4 ans maintenant, mais disons que je dois vraiment travailler pour vivre depuis seulement deux mois. Avant ça, je vivais avec mon mari qui gagne plutôt bien sa vie, ce qui me permettait de me focaliser sur mes projets. Maintenant que nous sommes séparés, je dois subvenir à mes besoins, ce qui n'est pas évident quand on sait que j'ai toujours dépendu des autres et que ma seule préoccupation jusqu'à maintenant était ma carrière musicale.

Que pensez-vous de la ville et de l'université qui s'y trouve ?  J'aime bien Chicago, sincèrement. Quand je vivais en Serbie, je n'avais qu'une envie : vivre aux Etats-Unis même si mon premier choix aurait été, comme environ 99,9% des étrangers qui rêvent de vivre aux USA, New-York. Au final, je vis à Chicago depuis bientôt 4 ans et je me plais dans cette ville, même si j'avoue que je ne m'épanouis pas autant que je l'aurais espéré. Parfois la Serbie me manque et il m'arrive de regretter de ne pas m'être contentée de ce que j'avais là-bas, mais désormais je vis ici et j'essaye de m'y plaire autant que je peux. Quant à l'université et bien je n'ai pas de réel avis là-dessus. Je fais croire aux autres que j'y étudie, parce que j'avoue que cela ne m'enchante pas de crier sur tous les toits que je suis serveuse, surtout quand on sait à quoi je me destinais à la base. Je me dis parfois que j'aurais peut-être dû écouter mes parents et continuer les études, mais j'essaye de ne pas trop avoir de regrets, car, certes, des portes se sont fermées, mais j'ai envie de croire qu'il m'en reste encore de nombreuses à ouvrir.

Et vous, qu'avez-vous fait comme études ? Et où ? Je n'ai jamais fait d'études supérieures à vrai dire. J'ai arrêté l'école après le lycée pour tenter de percer dans la musique. Je sais que ça peut paraître assez inconscient de faire un choix risqué comme celui là et si vous pensez ainsi vous n'êtes pas les seuls puisque mes parents étaient contre ce choix, mais je dois dire que cela a plutôt bien fonctionné pour moi... enfin du moins jusqu'à ce que j'emménage à Chicago.

"Anja, c'est à toi dans 5,4,3,2,1..."

J'entendais les applaudissements du public, le présentateur qui appelait mon nom et pourtant la seule chose qui comptait pour moi à ce moment-là, c'était ce sentiment qui mêle stress et excitation. Aussi longtemps que je m'en souvienne, j'ai toujours aimé chanter. J'aurais pu vous dire que c'est une passion qui me vient d'un de mes parents, mais pas du tout, j'ai entretenu cette passion seule, sans l'aide de personne. Je dirais même qu'au contraire, mes parents n'ont jamais réellement compris pourquoi j'accordais tant d'importance à la musique et même si au début cela les amusait, ils se sont vite rendu compte que ce n'était pas qu'une simple passion éphémère, mais bel et bien la passion de toute une vie. Cependant, malgré leurs réticences, ils ne m'ont jamais empêché de faire des castings, de participer à des concours, en bref d'essayer de réaliser mon rêve et je leur serais toujours reconnaissante pour ça. J'essayai de me ressaisir, de ne réfléchir à rien d'autre qu'à l'instant présent, qu'à la prestation que j'allais devoir donner. J'ai fait des dizaines de concours, mais celui là était particulièrement important à mes yeux. J'étais en effet sur le point de passer à la télévision pour la première fois de ma vie, devant des milliers de téléspectateurs. Certes, la Serbie n'est qu'un petit pays d'Europe de 7 millions d'habitants, autant vous dire que ce n'est pas le pays idéal pour aspirer à une carrière internationale. Malgré cela, j'aime mon pays et j'ai adoré y grandir, mais déménager aux Etats-Unis a toujours été une évidence pour moi. Vous savez ce qu'on dit, les Etats-Unis, c'est le pays où tout est possible et réalisable, c'est une utopie à laquelle je me suis accrochée pendant des années, je sais désormais qu'il ne suffit pas d'avoir du talent et de vivre aux Etats-Unis pour réaliser son rêve américain.

Revenons en à ce fameux passage à la télévision Serbe. J'avais passé un casting pour participer à "Ja imam talenat!", l'équivalent Serbe d' "America's got talent" et quelle ne fut pas ma surprise quand j'ai appris que j'avais été sélectionnée pour passer devant les juges, en direct à la télévision qui plus est. J'avais seulement 17 ans à l'époque et j'avais arrêté les études peu de temps auparavant, justement pour me consacrer à la musique, alors ce passage à télévision était loin d'être anodin. Ce premier passage devant les juges de l'émission restera toujours un de mes meilleurs souvenirs et je crois que c'est vraiment à ce moment-là que j'ai commencé à prendre confiance en moi et à croire en mon talent. Je vais vous passer les détails, mais j'ai fini par remporter cette émission, ce qui était totalement inespéré. J'ai signé 6 mois plus tard un album qui a bien marché en Serbie et je commençais même à avoir une petite communauté de fans fidèles. J'avais donc une belle carrière qui ne faisait que commencer, mais j'étais toujours inconnue en dehors des frontières de mon pays. J'ai toujours eu de l'ambition et je suis incapable de me contenter de ce que j'ai, ce qui est un énorme défaut, j'en ai conscience. C'est pour cela que l'année suivante, lorsqu'on m'a proposé de représenter la Serbie au concours de l'Eurovision, j'ai vu là une opportunité à saisir afin de me faire connaître à l'internationale, j'ai donc accepté. Je n'ai pas gagné ce concours, ce que je regrette, mais y participer m'a permis de chanter devant des millions de téléspectateurs à travers toute l'Europe et, par-dessus tout, c'est grâce à ce concours que j'ai pu déménager aux Etats-Unis.

Après le concours, je suis retournée en Serbie et j'ai été contacté quelques jours plus tard par un homme appelé John Keynes, manager d'artistes de profession, qui voulait travailler avec moi. Comme son nom le laisse deviner, John est un Américain vivant à Chicago et après des mois de correspondance avec lui, j'ai fini par lui rendre visite aux Etats-Unis. Il croyait en mon talent et en ma capacité à réussir en dehors de la Serbie et voulait m'aider à me faire un nom aux Etats-Unis. Rapidement, cet homme est devenu plus qu'un manager puisque nous avons commencé à sortir ensemble.

J'ai donc fait mes bagages et j'ai quitté la Serbie pour vivre avec lui à Chicago. J'étais jeune, insouciante et j'avais envie de croire tout ce qu'on me disait, de plus, j'étais amoureuse de cet homme et de ses belles promesses. Vous dire que tout s'est passé comme prévu serait mentir, puisque tout ce à quoi j'aspirais ne s'est pas réalisé et malgré les tentatives de mon mari, je n'ai jamais réussi à signer un seul contrat en quatre ans de vie à Chicago. Face à cet échec, des tensions ont commencé à naître entre mon mari et moi, car j'étais en colère, déçue et surtout obsédée par cette envie de gloire et de réussite.

Il y a deux mois, j'ai décidé de quitter mon mari pour vivre seule à Chicago. Je ne retournerai pas en Serbie, parce que ce serait admettre l'échec, ce que je ne peux me résoudre à faire. J'ai donc trouvé un petit boulot en tant que serveuse dans un restaurant, c'est loin d'être ce dont je rêve, mais cela me permet au moins de subvenir à mes besoins. En parallèle, je continue de chanter, de composer et d'envoyer des maquettes à des producteurs en espérant, qu'un beau jour, j'aurai ce que j'espère tant.