Shi-Ho • Skeleton flower

Depuis quand vivez-vous à Chicago ? J’ai débarqué le 18 Octobre 2014 dans le coin, un peu contre mon gré. J’ai fait une tentative de suicide et ils ont jugé que c’était mieux que je parte simplement ailleurs pour me reconstruire et puis Cam étant là, c’était le meilleur. Je voulais rejoindre mes sœurs au début, mais mon oncle et ma tante n’ont pas voulu de moi, et ma Noona n’avait pas le temps pour ça avec ses trois gosses.

Que pensez-vous de la ville et de l'université qui s'y trouve ? Chicago est une belle ville, je ne peux pas le nier, mais aucune ville ne sera comme Busan. Je pourrai simplement retourner là-bas, partir sans me retourner et pourtant, j’ai terriblement peur d’y être seul. Alors en attendant, je m’attache à cette ville américaine, surtout à cause de son port et de l’étendue d’eau qui s’y trouve. J’aime tellement l’eau. Pour l’université, je ne sais pas si je peux vraiment le juger, mais Cam y semble heureuse, alors c’est une bonne chose. Je ne suis pas spécialement pour les confréries par contre. Si on y est pas, on est un plouk, si on y est, on est catalogué de connard/salope. Alors bon…

Et vous, qu'avez-vous fait comme études ? Et où ? Je suis rentré à l’école de police à mes 18 ans, après un an de formation, j’en ai fait une autre pour devenir sniper dans une unité d’élite à cause de mes « talents », selon mes professeurs. J’aurai dû refuser. Je pensais vraiment que c’était la chose à faire, que j’allais défendre la veuve et l’orphelin, arrêter des supers méchants. C’est vrai qu’on a eu des missions assez prenantes, mais quand je devais être sur les toits et viser les foules qui défilent pour des causes justes, c’était autre chose. Tout comme les protections autour d’hommes qu’on savait véreux, mais avec tellement de moyens que même la justice s’écrasait.

Pourquoi avez-vous choisi de travailler à l'université de Chicago, et pourquoi à ce poste ?///

La première fois que j’ai vraiment vu un policier de près, j’avais 10 ans. J’étais jeune et il a débarqué dans ma salle de classe en disant qu’il devait m’emmener avec lui. Etant un représentant des forces de l’ordre, personne n’a bronché. J’étais terrorisé. Mes parents nous disaient toujours que lorsque ça arrivait, c’était pour mettre les gens en prison, autrement dit : l’enfer sur terre. Je croyais que j’y allais pour avoir volé deux bonbons à l’épicerie de Monsieur Yoo. Je pleurais comme un crétin en réclamant mes parents à tort et à travers et puis ils m’ont amené à l’hôpital lorsqu’on a récupéré mes trois plus jeunes sœurs. Nos grands-parents y étaient déjà, ma sœur aînée aussi et c’était à n’y rien comprendre honnêtement. J’avais 10 ans, mais je me souviens de tout.

Les médecins sont arrivés à peine changés, à peine lavés du sang sur leurs vêtements. Ils ont dit qu’ils n’avaient même pas eu le temps de les emmener en salle d’opération, qu’ils étaient trop atteints. Et puis la porte s’est ouverte, j’ai vu un bras ensanglanté et pendant vers le vide avant de reconnaître la montre d’Appa et de tout forcer pour entrer dedans avant de voir le massacre durant quelques secondes. Assez pour traumatiser l’enfant que j’étais. Assez pour qu’on en vienne m’empoigner et me faire sortir de force. On s’est tous mis à pleurer en comprenant que nos parents étaient morts. C’était la faute à personne, un virage mal pris, un ravin trop profond… ça arrivait selon les policiers, c’était quotidien pour les médecins, mais pour nous, c’était un drame affreux.

Nos grands-parents nous ont pris en charge bravement. Je ne peux pas dire le contraire. Ils étaient vraiment vieux, fatigués par la vie, les maladies, et malgré ses presque 68 ans, Araboji (grand-père) a repris le travail afin de pouvoir nous nourrir. Shiya a essayé aussi du haut de ses 14 ans de faire quelque chose. Les paysans du coin nous avaient embauchés tous les deux. C’est comme ça là-bas en campagne, les gosses peuvent travailler et au moins, on ramenait des légumes à la maison, parfois une poule ou un lapin. A noël, on avait eu un cochon de lait, une occasion de faire un vrai repas.



Au bout d’un an, ils nous ont dit que ça ne pouvait plus durer. Shiya allait rester avec eux, mon oncle Ryu-Ji, alors ingénieur en Irlande allait revenir au pays et être mon tuteur, pendant que notre tante du côté de ma mère, partie en Australie avant ma naissance, allait prendre avec elle Sora, Sara et Shina.



Être séparés, après avoir subi déjà une grosse perte, c’était douloureux. J’ai lutté avant de céder sous les gifles de mon oncle, parce que ça faisait mal, parce que je n’avais que 11 ans et que malgré tout, je n’allais pas pouvoir changer ça.

J’ai débarqué à Limerick avec lui en ressemblant à un chaton sauvage prêt à sortir les griffes. Les gens ont longtemps cru que j’étais muet, la vérité, c’est que je ne les comprenais pas. Je ne savais pas un mot d’anglais à l’époque et j’ai été déscolarisé pendant un an le temps d’apprendre la langue à vitesse grand V, au moins assez pour m’en sortir et comprendre ce qu’on me disait. Je n’étais pas un mauvais élève, mais pendant 3 ans, j’étais lent à cause de ce changement brutal d’environnement. Ce qui m’a donné mon diplôme à 19 ans seulement. Même si un an, c’est pas si grave. J’ai pu entrer à l’école de police en premier grâce à mes aptitudes physiques et j’ai gardé ce pli de peu parler. Je n’aime pas l’anglais, je réfléchis encore en coréen et je me désespère un jour de revoir mon chez-moi, mais j’ai peur d’y aller.

Mon oncle est tombé amoureux, j’ai été embarqué dans une famille nouvellement fraîche et constituée. C'était difficile. Difficile parce qu’on m’avait arraché à ma vraie famille pour me recoller dans une nouvelle comme si l’ancienne n’existait pas et j’avais à peine le droit d’avoir des nouvelles des filles. Shiya m’écrivait 4 fois par an la plupart du temps, disant qu’elle avait trop de choses avec les cours et le travail, me donnant des nouvelles des trois petites par la même occasion. Je me sentais seul, vraiment seul.

Cam a changé un peu ça. Tout le monde était persuadé qu’on arriverait jamais s’entendre à être si différent. Je ne l’ai jamais vu comme une sœur, je crois que c’est ce qui nous a sauvé, mais elle est vite partie elle aussi et au bout de deux ans, j’étais à nouveau seul. C’était plus simple de faire comme si rien n’avait d’importance, de me mettre dans ma bulle et c’est tout.

Après mon diplôme, je suis entré à l’école de police. C’était un honneur dans ma tête et même si mon oncle pensait à autre chose, il n’était pas trop déçu. Je pensais faire quelque chose de bien, je voyais ça comme un grand métier. Au bout d’un an, j’étais un bleu, j’aurai pu prendre le terrain comme tous les stagiaires, mais j’avais été élu pour entrer dans une unité de formation de tireurs d’élite. Les snipers.

Au bout d’un an, nous étions deux à avoir tout réussi. Deux seulement, mais deux amis. C’était vraiment bien d’avoir pu tout faire avec lui. Nous sommes directement entrés dans une unité d’interventions d’élite, c’était excitant. Mais on déchante vite.

Durant juin 2014, une dizaine de jours avant mon anniversaire, on devait faire une grosse mission. Attraper une partie d’un gang, responsable d’un réseau de prostitution et d’esclavagisme. Kenny et moi, nous étions postés sur les toits pour assurer les arrières des gars, comme toujours. Mais rien ne s’est déroulé comme prévu. Lorsque j’ai vu une épaisse masse noire avancer derrière mon binôme, j’ai compris qu’on avait été trahi. Sans avoir le temps de rien, un coup dans la tête et j’étais inconscient.


Plusieurs heures plus tard, nous étions 9 sur 24 à avoir échappé à la mort, mais à quel prix ?

Je refuse de parler de ce qui s’est passé dans cet entrepôt, tout ce dont je veux me souvenir, ce sont des larmes que j’ai eu en voyant la seconde équipe d’intervention arriver au bout de 49h… Les chiens, comme ils ont été longs.

Le traumatisme, il est encore présent. Malgré les séances chez le psy, je refusais de reprendre le travail, j’ai été considéré comme inapte à cause de la dépression due au stress post-traumatique. En Octobre, mon oncle et sa femme ont décidé qu’il était bon pour moi de me faire partir d’ici. Sur le moment, je pensais repartir à Busan, mais la peur est revenue de plus belle. Pour faire quoi ? Pour voir qui ? J’étais un étranger ici, j’avais l’impression qu’en rentrant là-bas, j’en serai encore un à cause de mes années ici.

Finalement, ils ont parlé de Chicago et bien que l’idée de m’enchantait pas, j’ai accepté dans l’idée de rejoindre Camomille.

Ici, je réapprends à vivre même si le stress reste présent, tout comme les insomnies et la peur omniprésente. Mais si les cancéreux ont un espoir de guérir un jour, moi aussi.