all the world love a good loser + esthee

Pourquoi avez-vous choisi d'étudier à l'université de Chicago ?  Esthée est née et a grandi à Chicago. Elle aime la ville et en connait les moindres recoins. L'idée de la quitter ne lui a jamais vraiment traversé l'esprit, bien qu'elle l'aurait peut-être envisagé si Joshua avait parlé de partir étudier ailleurs. Heureusement pour elle, ce ne fut pas le cas. Etudier à Chicago lui permet de garder le contact avec sa famille dont elle est très proche, mais également de préserver ses racines auxquelles elle tient. De plus, le département des langues étrangères de la fac est excellent.

Quelles sont vos sources de financement universitaire ? Le père d'Esthée étant l'ambassadeur du consulat japonais de Chicago, la jeune femme n'a jamais manqué de rien, et encore moins de perspectives d'avenir. Ses parents savent largement subvenir à ses besoins, son grand appartement en étant la preuve la plus parlante. Ayant pourtant toujours été éduquée dans l'esprit oriental et l'humilité, la jeune femme n'a jamais été une grande dépensière. Elle s'est d'ailleurs trouvé un petit boulot lors de sa deuxième année d'études dans un café littéraire de la fac qu'elle affectionne particulièrement. Ce travail lui a souvent permis de tromper l'ennui et de faire de belles rencontres.

Que pensez-vous du système de confrérie ? Esthée n'a jamais fait grand cas des confréries. Pour elle, il ne s'agit là que d'une expression malsaine et perverse de clans, pas plus évolués que ceux du lycée. Elle ne les aime donc pas particulièrement, mais ne juge pas forcément tous les gens s'y retrouvant. Certains de ses meilleurs amis en font partie. Malheureusement, elle n'arrive pas à adhérer à l'idée de groupes bien définis et de classes sociales transpirant tout autour des confréries.

D'ailleurs, faites-vous partie d'une confrérie ? Si oui, depuis combien de temps ? Si elle a vaguement envisagé d'en rejoindre une lors de sa première année de fac, c'était d'abord et avant tout pour plaire à Joshua. Mais elle est bien vite revenue à ses principes. Esthée n'est pas une fille des confréries, loin s'en faut. Elle sait qui elle est et n'a besoin d'aucun groupe pour s'épanouir. Aussi, jamais n'a-t-elle posé de candidature dans quelque confrérie que ce soit. Elle ne juge pas ceux qui le font et peut tout à fait devenir amie avec ces gens, mais elle n'est pas faite pour cela et le sait pertinemment. Elle aime son indépendance et est trop attachée à sa liberté de mouvements et de penser que pour ne serait-ce qu'envisager de passer par une année de bizutage. Aussi, elle se tient tranquille dans son coin et vit sa vie en dehors du mouvement. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est as si mal et il y a toujours moyen de se faire des amis. Des vrais, autrement que sous la contrainte de l'effet de groupe.

C’était un jour de pluie. Un de ces jours où le temps s’accordait parfaitement avec la mélancolie ambiante. Depuis le premier banc de l’église, Esthée avait déjà renoncé depuis bien longtemps d’écouter le discours du prêtre et se concentrait plutôt sur la pluie qu’elle entendait battre de plus en plus fort aux vitraux. De sa petite main d’enfant, elle serrait un pendentif en forme de plume. Le pendentif de Jeyne. Ses yeux, bien trop grands et fatigués pour son petit visage amaigri, parcouraient discrètement l’assemblée: tant de gens qu’elle n’avait jamais vus étaient présents. Tant de personnes venues pour rendre hommage à une gamine qu’ils ne connaissaient, au fond, que de nom. Jeyne Kobayashi. L’une des deux jumelles de l’ambassadeur japonais. Celle qui n’avait pas eu de chance et qui avait fini par être emportée par la maladie. Leucémie fulgurante, rebelle à tout traitement. Voilà tout ce que la plupart des gens savaient de sa soeur. Ils ne savaient pas qu’avec Esthée, d’un simple regard, elles se comprenaient. Ils ne savaient pas que, bien qu’ayant le même âge, Jeyne avait toujours été la plus courageuse, celle qui protégeait sa soeur envers et contre tout. Non, ils ne savaient définitivement rien. Dans son esprit simple et enfantin, Esthée ne comprenait pas pourquoi on ne pouvait pas les laisser en paix et pourquoi elle se devrait dans quelques minutes de répondre aux condoléances des gens, alors qu’elle n’arrivait même pas à encore comprendre l’ampleur de ce qui leur arrivait à elle et sa famille. Plus jamais elle ne reverrait Jeyne. C’était ce que sa maman lui avait dit. Ses parents ne lui avaient jamais menti et elle ne pouvait donc que les croire. Mais comment, quand on avait huit ans, pouvait-on comprendre que sa soeur jumelle en bonne santé tombe si gravement malade du jour au lendemain? Comment accepter ensuite qu’on ne pourrait jamais plus la voir, ou se confier à elle? Ce n’était pas juste. Rien dans toute cette histoire ne l’était… La cérémonie finit par prendre fin et les gens avaient commencé à faire la file pour présenter leurs sincères condoléances aux Kobayashi. Le corps entier d’Esthée se raidit, tandis qu’elle se préparait à accepter avec l’humilité attendue les regards désolés et les paroles réconfortantes des gens. « Tu viens Esthée. » Surprise, la petite brune n’avait pas remarqué qu’un de ses camarades de classe était venu. Joshua. Elle eut un sourire discret en sa direction avant de se retourner vers sa mère en quête d’approbation. D’un geste discret, elle accepta que sa fille, désormais unique, puisse éviter la foule. Joshua prit alors la main d’Esthée pour l’entraîner à l’écart. La main du garçon était chaude et douce, quoiqu’un peu collante. C’était rassurant. En y repensant, c’était comme si depuis ce jour-là, plus jamais elle n’avait lâché cette poigne.

Assise à sa coiffeuse, Esthée se maquillait. Elle n’était normalement pas du genre à se faire belle, mais aujourd’hui était un jour spécial. Dans un peu moins d’une heure, Joshua passerait la prendre pour aller à leur bal de promo, ensemble. La jeune femme avait l’impression d’évoluer dans un rêve, tant elle avait espéré de se rendre à cette soirée au bras de son meilleur ami. Bien entendu, elle savait qu’aux yeux du jeune homme aucune ambiguité n’existait et elle s’en contentait parfaitement. Après tout, elle n’avait pas besoin d’être sa petite copine, tant qu’elle restait la fille la plus importante dans sa vie. Celle à qui il confiait tout. Ou du moins, c’était ce qu’elle pensait. Concentrée à essayer de tracer de sa main maladroite un trait d’eyeliner, elle sursauta quand on frappa à sa porte. Elain Kobayashi, sa mère, entra et manqua d’exploser de rire face au manque d’expérience flagrant de sa fille dans le domaine. Sans un mot, cependant, elle prit le crayon des mains d’Esthée et entreprit de rattraper le maquillage puis de la coiffer. Une fois l’opération terminée, la main d’Elain s’attarda sur le pendentif en forme de plume que la brune portait toujours autour du coup.  « Jeyne aurait certainement aimé… » Et alors que la voix de sa mère se brisait, Esthée se releva pour l’enlacer.  « Oui, Jeyne aurait aimé participer au bal. Je vais m’amuser pour nous deux maman, je te le promets » Le fantôme de Jeyne était toujours présent dans leurs esprits à tous, mais il semblait particulièrement se raviver quand Esthée traversait des étapes importantes de sa vie. Etapes que les soeurs Kobayashi auraient normalement dû vivre à deux, si le destin n’en avait pas décidé autrement… Elain finit par reprendre contenance et sourit à sa fille doucement avant de la complimenter sur sa tenue. Elles sortirent ensuite de la chambre pour retrouver en bas un Joshua fraîchement arrivé, tout pimpant dans son costume.  « Mais c’est que tu es une fille en vrai. » Esthée tira la langue à son plus vieil ami.  « Tu peux bien parler, monsieur j’ai toujours l’air aussi peu à ma place dans un costume » Tout deux éclatèrent de rire et partirent pour ce qui était censé être la soirée de leur vie, plaisantant d’avance sur les clichés auxquels ils allaient assister.

 « Laisse tomber. Vu ce que tu es devenu, je suis contente de ne plus être ton amie. » Sans ajouter un mot, la jeune femme tourna les talons et s’en alla- plantant Joshua là au passage. Sourde aux appels du jeune homme la suppliant de revenir, elle continua son chemin, les larmes commençant à lui piquer les yeux. Comment avait-il pu? Comment pouvait-il la traiter ainsi? Et surtout: pourquoi acceptait-elle encore cette amitié qui n’allait à présent plus qu’en sens unique? Depuis qu’il était entré dans sa confrérie, des années plus tôt, Joshua n’avait plus de temps pour elle. Il n’était pas rare qu’il rate leurs rendez-vous et les quelques fois où il avait la générosité de se pointer, il n’était pas là mentalement- trop occupé à penser aux fêtes, aux filles, à ses frères de confrérie ou à sa vie sociale en générale. Angoissée par l’idée de perdre son meilleur ami, celui qu’elle aimait en secret, Esthée avait accepté beaucoup de choses. Elle avait tout pardonné, passant souvent l’éponge sur le fait de passer après les conquêtes d’un soir et les beuveries. Mais ce soir, elle n’en pouvait plus. Elle ne pouvait plus le laisser la traiter comme si elle n’existait que pour lui et quand ça lui chantait. De toute façon, vu ce qu’il semblait penser d’elle et de son manque de vie palpitante, il ne mettrait pas longtemps à se remettre du départ définitif qu’elle prenait de leur amitié. Probablement qu’une ou l’autre blonde écervelée dans son lit ferait l’affaire pour le consoler d’années d’amitié gâchées par la fac. Mais elle, qui serait là pour la réconforter? Elle avait bien des amis, mais aucun n’avait jamais autant compté que Joshua et une petite voix sournoise dans sa tête lui soufflait qu’aucun n’arriverait jamais à combler le manque qu’il laisserait dans sa vie. Pourtant, malgré ce vide vertigineux et terrifiant qui l'attendait, Esthée avait pris sa décision. Elle arrêtait les frais. Il en allait de sa fierté. Et puis, elle était fatiguée de vivre un grand huit émotionnel. Ce soir, elle avait voulu lui avouer ses sentiments. Finalement, elle se félicitait de ne pas en avoir eu l'occasion, ni le courage. Jamais elle ne pourrait aimer le nouveau Joshua. Celui qui ne la respectait plus et était passé de l'autre côté. Celui qui ressemblait tant à ces autres s'étant joués et moqués d'elle pendant de bien trop longues années de lycée.