« Vous voulez savoir comment ma fille est née ? Non, attendez. Vous ne savez pas comment naît un bébé ? Il sort par... Ah, d'accord. J'ai compris votre question. Mais il faut que je réfléchisse, ça fait quand même un petit paquet d'années tout ça, hein... A l'époque, ma femme -Brianna, qu'elle s'appelle- a bien cru qu'elle allait y rester.
"J'en peux plus, je pèse une tonne, ta fille va m'éventrer" succédait souvent à
"bordel, tu crois que tes brebis galèrent autant et qu'elles ont envie de crever ?". Vous comprenez, avant Lux, elle n'avait jamais réussi à mener d'enfant à terme. Le docteur a bien dit qu'elle avait une santé fragile, m'enfin, pour ce qu'il en sait vraiment, lui... Elle est pas fragile du tout. Elle se lève tous les matins avant moi pour aller nourrir les bêtes et préparer le petit déjeuner, et jamais je ne l'ai entendue se plaindre une seule fois. Oui, oui, je m'égare, excusez-moi. Donc, elle a fini par mettre bas un jour d'Août où on crevait de chaud. J'ai perdu une brebis la veille de ce jour-là, c'est pour dire. On avait fait appel à une dame du coin qui avait eu au moins huit enfants, alors elle s'y connaissait pas mal. Je crois bien que ça a duré pas loin de douze heures tout ce cirque, ma pauvre Brianna n'arrêtait pas d'hurler comme un cochon qu'on égorge. Et moi, quoi, j'avais du travail avec les bêtes, je ne pouvais pas rester tout le temps à côté d'elle. J'ai raté la naissance de Lux à quelques minutes près, je suis arrivé en courant et en soufflant comme un bœuf dans la chambre et c'est comme ça que je les ai vues, les deux. Ma femme débraillée, à moitié en train de pleurer, les joues toutes rouges et les seins à l'air. Elle tenait dans ses bras un machin assez immobile, avec pas des masses de cheveux. Je croyais qu'ils n'allaient jamais pousser moi. Mais en fait si. Je lui ai demandé comment elle voulait l'appeler, après tout c'est elle qui a fait sortir un humain de son ventre. Je sais pas trop si vous réalisez. Ah, si ? Bon, d'accord. Et donc là, elle m'a regardé avec ses petits yeux tout gris plissés, aveuglée par la lumière qui entrait dans la chambre par la fenêtre toute ouverte.
"Cette saleté de lumière me brûle les yeux, ah... Mais ta fille aussi est éblouissante. Tiens, ça lui irait bien ça. Une petite lumière." Et c'est comme ça que Lux est devenue Lux. »
DOUGAL Ò CEARNAIGH,
le petit papa.
« Je ne dis pas ça parce que Lux est ma fille, mais il faut bien que vous compreniez. Ma fille est parfaite. Avec son père, on n'a certes pas pu lui offrir une vie de château -on n'a pas assez d'argent pour ça, hein. Alors elle a grandi au milieu des moutons et elle a fait la fierté de notre clan avec sa petite tête blonde et ses questions à répétition. On l'a quand même envoyée à l'école, et puis elle était brillante. Elle disait souvent qu'elle s'ennuyait, elle a appris à lire très vite, bien avant la plupart de ses copains de classe. Mais vous savez, elle a reçu bien plus d'éducation en quelques années de vie que son père et moi en plusieurs décennies... Alors bon, on ne comprenait pas toujours tout ce qu'elle faisait à l'école mais on essayait de l'aider. Finalement, c'est elle qui m'a appris à faire des divisions euclidiennes, vous vous rendez compte ? Comme elle est intelligente et généreuse ? Elle a toujours été une petite fille pleine de vie, un peu casse-cou quand même mais très obéissante et dévouée. Elle réclamait toujours un p'tit frère, mais je lui ai expliqué que ce n'était pas possible. Après avoir accouché, j'ai hérité d'une déchirure de l'utérus et on a du m'opérer pour le retirer. Pas récupérable, le truc. Enfin c'est comme ça, c'est la vie. Je voyais bien qu'elle aurait aimé avoir une plus grande famille et qu'elle avait du mal à trouver de quoi s'occuper. Alors tous les samedis, on partait en expédition à Dublin et je lui achetais des livres pour qu'elle fasse quelque chose la semaine. Ça revenait vite cher mais son père travaillait beaucoup et les moutons étaient en bonne forme, alors on gagnait juste assez pour lui offrir ça. Jusqu'au jour où elle est tombée sur un gars qui jouait du piano dans un bar. On a du rentrer pour l'écouter tellement elle était fascinée, la petite. Et puis le gars l'a vue, il lui a proposé de jouer. Elle était tellement mignonne, comment résister ? Alors elle a joué, enfin elle a appuyé partout plutôt. Ça lui a plu. Elle m'a regardée, elle n'a rien dit mais je voyais bien dans ses yeux qu'elle avait envie de faire comme le gars, de jouer du piano. Elle avait cinq ans à l'époque. Elle était intelligente. Je sais, je me répète. Elle savait bien qu'on n'avait pas assez de sous.
"Je travaillerai avec toi avec les moutons et je ne lirai plus et j'irai accompagner papa vendre du lait et je revendrai mes vieux jouets et..." Et puis bah, le type, là, il l'a regardée et il a souri. A partir de ce jour-là, il lui a enseigné le piano. Gratuitement. Tous les vendredis, son père allait la déposer à Dublin et elle rentrait le lendemain avec un bus. J'ignore encore aujourd'hui pourquoi ce monsieur a fait ça pour ma petite Lux. Je crois qu'elle non plus ne le sait pas. Mais il a changé sa vie. »
BRIANNA Ò CEARNAIGH,
la gentille maman.
« Lux est une demoiselle charmante. Je l'ai connue enfant et je l'ai vue se métamorphoser sous mes yeux. Je n'ai jamais eu d'enfant et pour moi, elle était un peu comme ma fille. Je ne la voyais au début que le week-end pour ses leçons de piano mais en grandissant, elle s'est mise à passer davantage de temps avec moi à Dublin. Pour un vieux bougre comme moi, la présence d'une si jolie pousse était un pur bonheur. Et puis elle porte bien son nom, la petite. Partout où elle passe, elle met de la joie et de la lumière. Je crois que la première fois que mes yeux se sont posés sur elle et sur sa mère, j'ai su que je devais la prendre sous mon aile. Elle débordait de potentiel, ça crevait les yeux. Et malheureusement, ce n'allait pas être en restant enfermée chez elle qu'elle pourrait s'épanouir, ses pauvres parents ne pouvant pas lui offrir une éducation assez poussée pour satisfaire sa curiosité dévorante. Bref, je savais qu'elle aimait lire et j'aimais ça moi aussi. Elle avait sept ans lorsque je lui ai offert ce fameux bouquin,
Harry Potter. Elle savait lire depuis belle lurette et elle l'a fini avant moi. Je me suis ensuite débrouillé pour lui offrir les tomes suivants et cela déclenchait toujours chez elle une hystérie fanatique. Elle a grandi en même temps que ce petit Harry Potter et s'est identifiée à lui. Je la voyais souvent après ses leçons de piano, seule dans un coin, à dessiner des bestioles imaginaires ou à s'inventer des devoirs magiques.
"Tu vois, bientôt, je vais recevoir moi aussi ma lettre pour aller à l'école des sorciers. Et comme j'ai de bonnes notes à l'école, j'irai sûrement dans la maison des intelligents." Elle a attendu sa lettre pendant près de quinze ans. Évidemment, elle ne l'a jamais reçue. On sait bien que la magie n'existe pas, mais comment voulez-vous faire comprendre cela à une fillette qui passe ses journées dans des livres fantastiques ? Elle aurait bien le temps de grandir plus tard et de se confronter aux problèmes de la vie. Mais croyez-le ou non, son sourire à elle, il est magique. Il fera fondre comme neige au soleil vos peines et vos mauvaises intentions. »
CALLUM FRASER,
le professeur de piano.
« Lux était ma meilleure copine à l'école. On faisait tout ensemble, elle m'aidait à faire mes devoirs (quand elle ne les faisait pas carrément à ma place) et en échange ma mère lui payait des places de cinéma. Elle a toujours adoré ça, la lecture et les bons films. Elle a quand même une nette préférence pour tout ce qui touche au fantastique (y'a qu'à voir comme elle était folle lorsque les films Harry Potter sont sortis au cinéma !), mais à l'âge qu'elle a aujourd'hui, elle fait la part des choses. Enfin, elle n'est plus totalement immergée dans son monde de rêve, de sorciers et de poneys volants. Elle reste quand même une personne excessivement naïve, si vous voulez mon avis : on pourrait lui faire croire un peu n'importe quoi et elle nous regarderait avec des yeux ronds comme des soucoupes. Mais malgré ça, il n'est pas possible d'abuser de sa confiance ou de sa gentillesse. Elle inspire tellement de bonnes choses qu'on se sent coupable de la peiner ou de se moquer de sa crédulité. En tout cas, je garde d'elle un souvenir enchanteur ; c'est une amie aux petits soins, dévouée et fervente. Elle ne m'a jamais laissée tomber et a même été voir mon ex pour jeter des œufs pourris sur sa fenêtre de chambre lorsqu'il m'a plaquée. Je n'aurai jamais cru qu'un jour elle quitterait l'Irlande pour les Etats-Unis, passionnée comme elle l'était de son pays natal. Et puis il y avait Lloyd. Qui aurait pu penser qu'elle le laisserait derrière elle pour poursuivre sa faim dévorante de culture et d'ambition ? Personne. Elle ne cessera jamais de nous étonner et d'être là où on ne l'attend pas. »
une amie d'enfance.
« Au début, j'ai eu du mal à y croire.
"Je pars. J'ai décroché une place à l'université. C'est à Chicago." Elle avait dit tout cela très vite, comme si elle craignait de ne plus pouvoir continuer si elle prenait le temps de réfléchir à ses mots. Elle m'a regardé, je l'ai regardée, bref, on s'est regardé. Elle a souri, alors j'ai souri, mais je n'en avais pas envie.
"Comment ça, à Chicago ? Tu ne pouvais pas rester ici ? Dublin... Dublin, c'est du bon. Y'a Trinity. Pourquoi Chicago ? T'as envie de finir obèse avec leur malbouffe ou quoi ?" J'étais en colère parce que je n'avais aucune envie de la laisser filer, cette sale petite fouine. Mais je savais qu'il était déjà trop tard. Lux avait bien trop de potentiel pour finir sa vie dans ce trou à rat qu'était la maison perdue de ses parents. Et visiblement, moi, je n'étais pas assez bien pour la retenir. Elle a soupiré à ce moment-là, et puis elle a haussé les épaules.
"Tu ne comprends pas. Y'a rien pour moi à Trinity. Chicago peut me donner ce que je veux, tu le sais bien. Là-bas, je pourrai étudier avec les plus grands et faire quelque chose de bien. J'aime les moutons, mais pas assez pour me rouler dans leur merde jusqu'à ce qu'elle m'étouffe." Elle m'avait fait rire, un rire jaune et blessé. Moi aussi, j'étais un mouton ? A cette époque, elle avait vingt ans. Elle était belle, elle était sauvage, et elle ne savait jamais fermer sa gueule quand la situation devenait gênante. Le pire, c'est sans doute qu'elle m'avait balancé ça tout en remettant sa culotte, comme si on discutait de ce qu'on allait faire à manger. En réalité, je crois que je l'ai perdue le jour où je l'ai trouvée. Elle n'a jamais été à moi ; on n'adopte pas un cœur libre et un esprit aussi enragé que le sien. Ou bien on s'appelle Harry Potter. Elle m'avait fait rire avec ça, avec sa passion d'enfance qu'elle voulait cacher pour un mec sorti tout droit de l'imagination d'une fille sans le sou. Et j'avais fini par partager sa passion, par l'accompagner au cinéma pour voir tous les films, par lui relire ses passages préférés avant qu'elle ne s'endorme. Notre relation a duré quatre années, même si je sais qu'elle n'a pas toujours été fidèle. Moi non plus. Nous étions jeunes et nous étions libres ; qui étions-nous pour nous attacher l'un à l'autre et exiger parfaite servitude ? Je crois que j'étais amoureux d'elle. Elle aussi, sans doute. Surtout quand elle s'avançait vers moi, nue, son petit pendentif en forme de chouette se balançant entre ses seins fermes et pâles. Et puis elle est partie, elle s'est envolée. Quand le soleil se couche sur un pays, il se lève sur un autre. C'est ce qu'elle a fait : elle a cessé d'éclairer ma vie pour illuminer celle d'un autre. »
LLOYD,
le premier "vrai" petit ami.
« Lux a débarqué dans ma vie comme un bombe. Je me demande comment j'ai fait pour ne pas la remarquer avant ! Elle étudiait à l'université de Chicago depuis un peu plus de trois ans lorsque je l'ai croisée à une soirée organisée par ma confrérie. Elle y est venue avec un petit chat robot, le truc qui ne sert à rien mais qui a fait miauler de plaisir toutes les chattes de l'assemblée. Ouais, elle l'a fait elle-même. Ouais, elle l'a toujours. Elle l'a amélioré depuis, maintenant il répond lorsqu'on l'appelle. Hein ? Il s'appelle... Harry. Bref, ce n'est pas ce dont je voulais parler. J'avais beaucoup entendu parler d'elle, il faut dire qu'elle est douée pour se faire des amis et que c'est le genre de nana cool qu'on apprécie. Elle rit, elle rote, elle joue au beer-pong et elle ne se prend pas la tête à se limer les ongles dès qu'elle touche quelque chose. J'ai tout de suite adoré son côté tout-feu tout-flamme, la lueur rebelle au fond de ses yeux gris presque froids et la façon dont elle roulait du cul pour attirer mon regard. Ou le regard de n'importe qui. Elle ne s'est jamais cachée et n'a jamais eu honte d'aimer les hommes et d'aimer la vie. Et puis bon, elle était trop jeune pour se soucier de quoi que ce soit. Finalement, la vie nous a réunis et je crois pouvoir dire que j'ai passé une merveilleuse année à ses côtés. Un peu plus qu'une année d'ailleurs, mais passons. J'ai cessé de compter le jour où elle m'a largué. Elle ne m'a jamais donné de raison exacte, mais je crois que c'est à cause de ses fantômes passés. Elle avait grandi avec moi, sa passion un peu ridicule pour Harry Potter avait finit par se faire la malle. Mais elle ne quittait jamais son pendentif en forme de chouette, même si je le trouvais assez ringard. Elle n'aimait pas ça, que je me moque. Elle disait qu'elle y tenait énormément, qu'il représentait beaucoup pour elle. Je crois que c'était un cadeau de son ex, mais je n'en suis pas sûre. Elle m'a parlé brièvement d'un type qu'elle avait du quitter lorsqu'elle a embarqué pour Chicago avec le programme d'étude, mais sans plus. Elle est toujours restée secrète sur son passé et sur ses sentiments. Et quand elle est partie, j'étais vraiment énervé. Je l'ai un peu provoquée.
"C'est ça, tire-toi, vas lire tes bouquins de merde et construire ton robot ahuri. Tu pourrais aussi te racheter un collier, ça ne ferait pas de mal." Elle m'a alors regardé comme jamais personne ne l'avait fait auparavant. J'ai eu l'affreuse impression de mourir, transpercé par les lances de glaces que ses yeux sans fond projetaient vers moi. Derrière sa douceur et son air ingénu, derrière sa candeur et sa naïveté touchante... Il y a une femme, une vraie. Une femme forte, une guerrière, une femme au cœur brisé qui a bien trop de fierté pour l'admettre.
"Je te pardonne pour tes propos.", voilà tout ce qu'elle a trouvé à répondre avant de s'enfuir. Je me suis senti bien con. »
l'ex le plus récent.
« Ah, Lux et les Zeta Psi... C'est une longue histoire ! Nous partageons la même chambre dans la maison de la confrérie et croyez-moi, ce n'est pas de tout repos. C'est une fille ordonnée, il n'y a rien à redire sur ce point. Mais elle aime mettre la musique à fond, travailler en chantant, créer des robots bizarres... Enfin, je la laisse faire, au fond c'est quand même amusant de la voir comme ça. On dirait une gamine toute excitée à l'approche de Noël dès qu'elle a une idée en tête. Depuis qu'elle a plaqué son mec, elle partage beaucoup plus de choses avec nous autres, membres de sa confrérie. Et c'est un bien, elle met une ambiance de folie et tout le monde l'apprécie pour sa gentillesse innée et sa simplicité. Et franchement, il faut dire qu'elle est sacrément intelligente... Ce qui joue beaucoup pour nous. Je suis arrivée avant elle à l'université de Chicago -et pour cause, je suis née dans cette satanée ville- et elle m'a tout de suite inspiré confiance, alors je l'ai aidée à s'y retrouver. C'est moi qui l'ai finalement convaincue de rejoindre les Zeta Psi et je ne regrette absolument pas qu'elle ait accepté. Sans elle, notre quotidien à tous serait bien plus morose ! Je pense qu'avec le temps, nous sommes devenues de très bonnes amies. Des confidentes. Elle m'a parlé de sa vie en Irlande et d'un certain Lloyd qu'elle a laissé derrière elle pour tenter sa chance à Chicago... A l'entendre, c'est le type parfait que l'on souhaite toutes rencontrer un jour. Mais Lux est une tête brûlée. Elle a plaqué sa vie pour tenter sa chance ailleurs et se donner les moyens de réussir, de devenir quelqu'un de réputé dans le monde scientifique. Je l'admire beaucoup pour cela et je lui souhaite sincèrement de réussir. Et peut-être qu'un jour, elle pourra recoller les morceaux avec son prince charmant... »
la colocataire Zeta Psi.
« Il faut absolument que je vous raconte l'année de bizutage de Lux. C'était à mourir de rire ! Non mais vous l'imaginez, habillée au ras des fesses et maquillée comme pas possible ? Elle a détesté ça, mais elle n'avait pas franchement le choix ! Je suis quand même fière de constater qu'elle a su venir à bout de tous les défis débiles que nous lui avons lancés. Parce que que franchement, c'était pas gagné d'avance. Le moment qui m'a le plus marqué est sans doute le jour où on était assises ensemble à la cafétéria.
"Tu vois ce type, là-bas ? Je veux que tu ailles le chauffer. Fais ça bien, il ne doit y voir que du feu. Si tu arrives à te le faire, tu seras définitivement des nôtres. Bon, c'est pas trop notre politique, le sexe et tout, m'enfin... C'est moi qui commande aujourd'hui et ça m'amuse comme une folle !" Elle y est allée, d'une démarche roulante et les lèvres en cœur. C'est aussi ça que j'aime chez elle : elle ne renonce à rien, elle relève tous les défis et ne craint pas le ridicule. C'est une bonne Zeta, quoi. C'est pas parce qu'on a de bonnes notes où qu'on aime étudier qu'on est forcément bons à rien dans les autres domaines ou qu'on manque d'humour. Lux en déborde, il suffit de l'entendre glousser pour le voir. Bref, je m'égare. Elle est donc allée voir ce type, plus âgé qu'elle. Et membre de notre confrérie en plus, sauf qu'elle ne le savait pas, à l'époque. La pauvre, elle débarquait du fond de sa campagne et je parie qu'elle n'avait jamais vu autant d'humains d'un coup (même si ça ne change pas tellement des moutons). C'était mémorable. Je crois qu'il n'a absolument rien compris à ce qui se passait. Lux est revenue, pâle comme un linge, penaude et persuadée d'avoir foiré.
"C'est mort. Il m'a regardée comme si j'étais un steak haché périmé. J'sais pas, il préfère sûrement les hommes... Pourtant j'ai bien mis mes seins en avant, t'es témoin." Et le comble, c'est que ce type est revenu à l'université après ses études. Pour être prof. De philo. Oh, ai-je oublié de mentionner que c'est aussi moi qui ai poussé Lux a étudier la philo ? »
une amie d'université.
« J'ai l'impression d'être revenue à la case départ. Ou plutôt, d'en découvrir une seconde. Lorsque j'ai quitté l'Irlande il y a cinq ans, je n'imaginais pas un instant que ma vie changerait du tout au tout. J'ai presque une seconde famille ici, des amis sur lesquels je pourrai toujours compter. Mes études me plaisent, je crois pouvoir dire que je suis brillante dans mon domaine. Et pourtant, j'ai toujours l'impression d'être vide, seule, égarée. J'ai la sensation d'être une plante que l'on aurait coupée pour la mettre en vase. Rejoindre ce programme d'étude international était une chance que je ne pouvais pas refuser, et pourtant je ne suis plus aussi sûre aujourd'hui d'avoir fait le bon choix. Oh, je ne regrette pas ce que j'ai vécu à Chicago, ou ce que je vis en ce moment. Seulement... Il me manque ma vie, mes racines. Il me manque ma famille, et il me manque Lloyd. Je l'ai abandonné, je l'ai laissé seul et je suis persuadée qu'il me déteste de lui avoir fait tant de mal. Il n'a jamais compris mon souhait de partir ; pour moi, cela ne voulait pas forcément dire que nous devions rompre. Mais c'était sans doute mieux ainsi, je ne voulais pas le priver de son existence ou le condamner à m'attendre sans fin. Croit-il que cela a été facile pour moi ? Je le vis encore aujourd'hui comme la décision la plus douloureuse que j'ai jamais eue à prendre. L'amour ou le travail, quel choix faire ? Surtout à vingt ans. J'ai suivi mon instinct et mes ambitions, persuadée qu'un cœur brisé -ou deux- peuvent se réparer avec le temps. Mais cinq ans après, le souvenir est toujours aussi vif en moi que lorsque nos yeux se sont croisés pour la dernière fois. »
AISLINN LUX Ò CEARNAIGH,
la lumière.