Varvana | Remember me for centuries

Varvana, qui préfère qu’on l’appelle V., a une histoire plutôt banale, dans sa globalité. Gamine intelligente et éveillée, elle a grandi sur le dos d’un cheval, dans une piscine, sur les tatamis. Elle a toujours adoré le sport, pratiqué de préférence en compagnie de son frère aîné, Nikolaï. De quatre ans son aîné, le garçon a toujours été très attaché à sa sœur. Oh, il y avait bien au début la crainte enfantine que ses parents l’aiment moins avec l’arrivée du bébé, mais elle a très vite disparu. C’est lui qui l’a intéressée à la lecture et à la musique – cette dernière était même le seul moyen de la calmer quand elle piquait une crise.

Varvana a toujours eu un sacré caractère. Ses professeurs déploraient sa turbulence puisqu’elle prouvait aux gamins dans la cour de récré qu’une fille pouvait les mettre à terre dès qu’ils osaient s’en prendre à elle. Aux écuries où elle prenait des cours d’équitation, on déplorait son individualisme tout en louant le soin qu’elle prêtait aux chevaux et à l’équipement. Elle ne se faisait pas vraiment d’amis, mais ce n’était pas grave, elle en avait tout plein dans les livres, comme Nikolaï le lui avait appris.

Chez les Lodbrock, on est bilingues. Elle a appris le français en même temps que l’anglais. Avec son frère, ils s’amusaient à parler français quand ils voulaient que les autres gamins ne les comprennent pas. Ils n’étaient pas vraiment du genre à faire les quatre cent coups. En fait, ils préféraient cent fois passer la soirée à lire un bouquin, un paragraphe chacun à tour de rôle, plutôt que d’aller courir dans le quartier avec les autres gamins.

Varvana a découvert qu’elle aimait manier les mots à l’âge de huit ans. Ses phrases étaient hésitantes, recopiant les styles romanesques qui lui avaient plu, mais c’était la volonté qui comptait. Son frère lui donnait parfois des conseils, n’hésitant pas à lui conseiller des auteurs qui pourraient lui plaire. Il partageait aussi avec elles ses goûts musicaux.

C’est lui qui, quand elle avait seize ans, lui a conseillé de se lancer sur Youtube après l’avoir entendue chanter. Oh, elle a une jolie voix, c’est certain. Mais se lancer professionnellement dans la musique ne l’a jamais tentée. Aujourd’hui, sa chaîne a dépassé le million d’abonnés et sa reprise la plus populaire – celle de la chanson Let her go par Passenger – a été vue environ quinze millions de fois. Cela fait d’elle une chanteuse à succès, mais pas non plus la tête du tableau, et ça lui convient très bien.

Elle était brillante, pendant ses études. Têtue mais brillante. Elle avait son petit cercle d’amis, souvent paisibles et intelligents, tout comme elle, mais capables aussi de s’amuser. C’est au lycée qu’elle a été initiée au jeu de rôle, d’abord sur table, puis sur forum. C’est sur cette dernière plateforme qu’elle a le plus accroché, mais les deux restent un loisir qu’elle pratique régulièrement à ce jour.

À dix-sept ans – native de novembre oblige – elle a eu son diplôme de fin d’études et s’est inscrite à l’université de Chicago. Elle était un peu nerveuse, si bien qu’en recevant la lettre notifiant son acceptation, elle a fêté ça avec son frère et sa bande d’amis. C’était restreint, sans prétention, mais elle s’est sentie tellement bien ce soir-là qu’elle n’a pas pu oublier. Cela n’a pas empêché la vie de continuer : cela dit, elle avait un petit parfum de victoire qui n’a pas laissé Varvana insensible.

Sa rentrée se passa sans encombre. Elle riait de son bizutage, soutenue par son frère dont elle avait rejoint la confrérie, n’hésitant jamais à rendre coup pour coup. Elle nouait des liens solides, s’épanouissait pendant les cours, s’oubliait sur les tatamis qui lui étaient restés. Comme une vieille habitude, elle poussait son corps hors de ses limites, son esprit au-delà de son savoir, constamment à la recherche d’un nouveau challenge.

C’est en première année qu’elle l’a rencontré, lui. Il était un peu plus âgé, un ami de son frère, avec lequel elle s’est tout de suite bien entendue. Les choses se sont vite passées, surtout parce qu’elle apprenait à jouer des émois de son corps, à séduire et se laisser séduire. Elle a joué les inaccessibles, les ombrageuses… Et finalement, quand est arrivé le moment de céder, elle n’était pas sûre de le vouloir. Elle avait peur et ça lui a fait mal, aussi. Elle aurait voulu arrêter, il n’a pas écouté.

Quand elle en a parlé à Nikolaï, effrayée et fragilisée, il est allé frapper son ami. Elle aurait aimé le faire aussi, mais dès qu’elle le voyait, son souffle se coupait et elle ressentait l’impérieux besoin de fuir. Elle n’a pas assimilé le sexe à quelque chose de mauvais, juste son comportement à lui. Pourtant, pour tenter à nouveau le coup, il lui a fallu le courage insufflé par Nikolaï, un gars à qui elle faisait confiance et à qui elle a parlé de ce qui était arrivé, ainsi que la présence de son frère, qui a veillé dans le couloir jusqu’à ce que le couple d’un soir en finisse.

Après ça, Varvana a très régulièrement ressenti le besoin de se réapproprier son corps. Comme pour s’assurer qu’il lui appartient toujours, elle couche avec des gens qu’elle s’assure très fermement de choisir, pour leur dérober un peu d’affection, oublier qu’elle a peur d’aimer, oublier jusqu’à son propre nom. C’est plus facile quand, pour quelques minutes au moins, on se sent important, apprécié.

Les quatre ans sont passés comme un éclair et elle a travaillé comme une dingue pour obtenir haut la main son Bachelor. L’avoir avec un onze sur vingt ne l’aurait jamais intéressée. Elle avait besoin de défis, d’aller toujours plus haut, plus loin, plus fort, plus vite. C’était valable aussi pour la musique et l’écriture. Pendant les vacances d’été qui ont suivi son Bachelor, elle a réussi à faire publier l’une de ses nouvelles.

C’est pour fêter ces deux évènements que ses parents lui ont fait un merveilleux cadeau, avec l’aide de Nikolaï. Ils lui ont acheté le bâtiment dont elle rêvait depuis ses quinze ans, remporté dans une vente aux enchères. Niko les a aidés à le préparer afin qu’ils puissent le lui offrir le premier septembre. Elle était aux anges et a aussitôt commencé les travaux d’aménagement, toujours avec l’aide de sa famille.

Le Bohemian a ouvert ses portes le cinq novembre, jour de ses vingt-trois ans. Ce jour-là vinrent surtout ses amis de l’université et du lycée, au courant de ses projets et contactés quelques semaines avant l’ouverture. Peu de nouvelles têtes, mais quelques-unes quand même, ce qui fut pour Varvana comme une bouffée d’air frais. Par la suite, elle fit énormément de publicité en-dehors des heures d’ouverture, s’aidant notamment de sa chaîne Youtube pour attirer les clients.

Aujourd’hui, presque deux ans après, le Bohemian est la référence pour tous les férus d’art qui cherchent leur coin de paradis. Presque tous les soirs, des événements autour de l’art sont organisés et, quand ce n’est pas le cas, il y a scène libre, donc n’importe quel client peut avoir son heure de gloire. Côté cœur, pour Varvana, c’est toujours la même chose : coucher sans lendemain, pour ne pas se sentir seule. Mais elle n’est pas triste. Comment pourrait-elle l’être alors qu’elle a atteint son objectif et qu’elle vit dans son rêve ?

L’histoire ne demande qu’à continuer…