Pourquoi avez-vous choisi d'étudier à l'université de Chicago ? Tu avais choisi Chicago pour ta nouvelle vie, ton nouveau départ. Ainsi, le choix de son université était tout à fait logique. De plus, depuis la mort de ton frère, tu tenais un blog, et elle était réputée pour son cursus de journalisme.
Quelles sont vos sources de financement universitaire ? Ressortissante d'Irlande, tu n'as pas le droit à une bourse. Tu as donc fait un prêt étudiant qui te coûte la peau du c*l et que tu rembourses avec un boulot de serveuse.
Que pensez-vous du système de confrérie ? Tu penses que le mot "dégoût" est assez représentatif de ce qu'est le système de confrérie à tes yeux. Tu hais le principe de base qui est celui de placer des gens dans des cases prédéfinies.
D'ailleurs, faites-vous partie d'une confrérie ? Si oui, depuis combien de temps ? La réponse est NON. Simple et concise, mais redoutablement toi.
Il était une fois, une petite fille aux cheveux blonds, qui était on ne peut plus heureuse. C'est vrai, enfant tu étais heureuse. Tu avais tes parents, parfois plus occupés par leur apparence que par leurs enfants, mais tu savais qu'ils t'aimaient. Tu avais tes deux frères, William et Ethan, qui étaient tes anges gardiens, tous deux plus grands que toi. Tu étais la petite dernière, celle qui pouvait faire ce qu'elle voulait et qui faisait passer la pilule avec sa bouille d'ange.. Mais tu étais aussi une chieuse pas possible, posant des questions sur tout. Tu voulais tout comprendre, tout savoir. Tu voulais toujours en apprendre d'avantage sur les sujets qui te passionnaient et même sur ceux qui ne te passionnaient pas.
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Un jour, pourtant, tout a basculé. Une phrase, simple enchaînement de quelques mots, avait bousculé ton destin, ta vie, ton avenir. Ethan et toi étiez assis dans le canapés, vous chamaillant alors que William était installé à côté des parents. Sur le coup, cela ne t'avait pas paru étrange.
Les enfants ! La voix forte de ton père a fait son effet et vous vous êtes immédiatement calmés.
Ecoutez, je pense qu'il n'y a pas trente-six mille façons de vous annoncer ça alors.. Votre frère est malade. Le médecin lui a diagnostiqué un cancer. Tu as dix ans. Ethan, onze. William, quinze. Toi qui a toujours une grande langue, tu ne sais quoi dire, quoi demander. Ton cerveau a un bloquage. Tu sais que c'est grave, mais tu ne sais pas comment réagir.. Alors tu ne bouges pas. Ethan, lui, explose.
Mais comment c'est possible ? William n'a que quinze ans, et on a pas de cancer a quinze ans ! Ta mère sourit tendrement. Tristement. Elle s'approche de toi et Ethan.
Malheureusement, les maladies ne tiennent pas compte de l'âge. Elle vous prend dans ses bras et là, tu comprends que c'est vraiment grave. Ta mère n'est pas quelqu'un de tactile. C'est quelqu'un de protecteur, qui veille sur vous de loin mais pas quelqu'un qui vous câline tous les soirs. Plus tard, après quelques jours, tu veux connaitre les détails et tu demandes à tes parents. Alors, tu apprends que c'est une leucémie à un stade relativement avancé, et que le traitement va être difficile.
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Les larmes coulent et se mêlent aux gouttes de pluie qui inondent ton visage. Les souvenirs remontent à la surface. Les chimios, les chambres d'hôpital. Les fous rires. Les engueulades. Les promenades sur le port. Les bons jours. Les mauvais jours. Les très mauvais jours. Les mieux. Les moments d'espoirs de guérison.. Et puis deux jours auparavant : la disparition. La fin. Cinq ans de combat pour rien. Et pour l'enterrement, l'impression que le temps se met au diapason de ta tristesse. Avec celle de ta famille.
Tu avais le droit de t'exprimer, de faire un petit discours. Tes parents te l'avaient conseillé, mais tu n'avais pas pu. Tu en avais écrit des dizaines, mais pas un seul ne te semblait assez bien pour ton grand frère. Tu avais toujours été plus proche de William que d'Ethan, mais il n'était plus là et il ne le serait plus jamais. Les gens défilent, les gens vous souhaitent du courage mais tu t'en fous, tu t'en tapes. T'en connais même pas là moitié, de toute façon. A parti de ce jour, tu décides de dire merde au monde entier. Tu décides que tu seras celle que tu veux et non plus la parfaite petite Ciara.
Alors les robes laissent place aux jeans troués. Les beaux cheveux blonds, qui ont foncé depuis l'enfance, deviennent verts. Puis bleus. Puis roses. Ils passent par toutes les couleurs et toutes les formes. Tu te fais tatouer, tu commences à fumer. Et pas que des clopes. Tu essaies d'oublier sans vraiment t'en rendre compte. Tu voudrais te barrer, tout laisser derrière mais tu ne peux pas. T'as que quinze ans. Puis seize. Puis dix-sept. Et enfin dix-huit.
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Le matin de tes dix-huit ans, ta valise est déjà prête depuis des jours. Ton billet d'avion soigneusement rangé à l'intérieur. Tu as bossé pour te le payer, et ta mère pensais que tu allais mieux. Oui, tu allais mieux, mais pas pour cette raison. Tu allais mieux parce que tu avais pris une décision. Ta vie allait changer. Tu allais fuir ta vie, ta maison, tous les souvenirs ravivés tous les jours dans cette ville que tu haïssais de plus en plus pour la simple raison qu'elle avait vu ton frère mourir. Tu devais partir. Tu n'avais plus le choix. Alors, le matin de tes dix-huit ans, tu es partie en laissant un mot sur l'oreiller d'une chambre que tu ne verrais plus jamais.
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C'est comme ça que t'es arrivée à Chicago. Tu avais longtemps hésité à partir à New York, mais finalement, Chicago te paraissait être une ville magnifique et accueillante. En somme, elle était parfaite pour un nouveau départ. Depuis le temps, tu t'es fais des amis, tu t'es fais des ennemis. Tu ne fermes plus ta grande gueule et tu vis ta vie comme tu l'entends (du moins, tu en es persuadée).