EION - the dark knight

Depuis quand vivez-vous à Chicago ? Chicago, c’est la ville à laquelle j’appartiens, où je me sens chez moi. J’y suis né, j’y ai toujours vécu exception faite de mon service militaire, du pensionnat et de mon escape de quelques mois avec une fille. J'y reviens toujours. Je ne me vois pas spécialement vivre ailleurs, je ne suis pas du genre globe-trotter mais qui sait, peut-être qu’un jour je mettrais les voiles pour ne revenir qu’à l’heure de ma mort.

Que pensez-vous de la ville et de l'université qui s'y trouve ?La fac est… utile, c’est indéniable. Après ce n’est pas fait pour tout le monde. Personnellement, j’étais quelqu’un de complètement différent quand j’y étais et on ne peut pas vraiment dire que j’y ai appris grand-chose. J’étais qu’un gros con, j'espère pouvoir dire que ce n'est plus vraiment le cas à l'heure actuelle. Tout ce que la fac m'a apportée, c'est un diplôme que je suis bien content d'avoir à l'heure actuelle.

Et vous, qu'avez-vous fait comme études ? Et où ? Des études de droit. Juste pour faire plaisir à ma famille parce que c’était clairement pas ma came. Au final, ça me sert beaucoup aujourd’hui quand même. Heureusement que j’ai eu mon diplôme en droit, je suis aujourd’hui avocat. Je ne le fais pas pour le prestige. J'ai quelques gros clients évidemment, mais je défends aussi beaucoup de clients moins fortunés ou carrément en pro bono, c'est à dire sans qu'ils déboursent un centime.

Tu étais là, amorphe. Tu regardais son corps sans vie, tellement défiguré, et tout ce que tu avais envie de faire c’était de hurler, de déverser toute la douleur qui brûlait tes veines et coulait sous ta peau. Cela ne pouvait pas être, c’était impossible, c’était un cauchemar. Comment, elle que tu aimais tant, comment avait-elle pu disparaître ? Pourquoi était-elle… morte ? Et tu te revois votre vie défilée sous tes yeux.
Impossible de dire vraiment si vous aviez été chanceux ou pas dès le départ. En guise de parents, on vous avait affublé une blondasse opportuniste et avide qui s’était faite épousée par un vieux très riche à l’article de la mort. Classe. Forcément, la vieille famille Dougherty avait très très très mal pris la chose. Notamment les aînés qui étaient parfois plus âgés que votre mère. Bref, vous êtes nés. Félicitations. Eion et Fiona, deux beaux bébés ! Le père n’a même pas pu vous voir bien vieux, il a cassé sa pipe. Manque de peau pour la madre, dans ces cas-là, ce sont les enfants qui héritent de la fortune. Dans votre cas, ça se chiffrait à 1 petit milliard chacun et un joli patrimoine immobilier en Irlande. Les vieilles familles, ça a du bon par vrai !

Votre enfance ? Un échec cuisant de la parentalité. Vous avez été « élevés » par une nounou payée par votre mère avec votre argent. Mère qui se contentait de vous abreuvez de compliments sirupeux et de mots d’amour creux. Si ça irritait ta sœur, toi tu y prêtais un peu trop l’oreille, au point de la croire, cette folle. Un peu comme un endoctrinement dans les règles de l’art. Elle t’avait façonné et conditionné pour que tu sois un petit merdeux imbu de lui-même, hautain et tout le sale lot de connerie qui s’en suit dans ce genre de cas. Et tout le monde semblait marcher dans le complot, baiser la route devant toi. Incroyable avec le recul, parfaitement normal pour toi à l’époque. Tu étais beau, intelligent, riche et sportif. Que demande le peuple ? Rien, clairement rien, pas tant en tout cas. Et toi, tu avais tout, ça t’avait pourri le cerveau.
Tu revois encore vos soirées de dingue, à la Phillips Exeter Academy (le plus gros pensionnat du pays). On pouvait dire qu’il n’y avait pas plus sauvage et décadent que des gamins plein aux as. Toi le premier. Ta sœur ne donnait pas sa part au chien mais elle était plus discrète que toi. Toute votre vie, vous aviez été furieusement complémentaire. Elle était réfléchie là où tu étais insouciant, c’était une grande calculatrice. Elle était sarcastique là où tu te contentais d’être franc et direct. Elle était créative quand tu ne connaissais que la force brute pour arriver à tes moyens. A vous deux, vous étiez un monstre invincible et vous faisiez régner la terreur autour de vous. Mais ça, c’était avant. Avant qu’elle ne meure. Avant qu’elle ne se suicide. Pourquoi ? Parce que ce monde avait eu raison d’elle. Parce que la dorure ne sert qu’à cacher la pourriture de ce monde. Parce que l’argent n’achète rien, il vous permet juste de vous tuer deux fois plus vite, deux fois plus fort. Et tu n’avais pas su le voir, non. Tu avais pété les plombs, t’étais qu’un petit étudiant de merde qui pensait qu’à faire la fête et se taper de jolies filles. Tu étais parti avec cette nana dont t’étais dingue. Tu l’avais laissée derrière toi, elle avec qui tu avais toujours vécu, elle que tu aimais plus que tout, Fiona, tu l’avais abandonnée et elle avait sombré. Jamais tu ne te pardonnerais une chose pareille.

Tu n’avais plus jamais été le même après ça. Tu es rarement drôle, tu n’aimes pas trainer avec ce monde d’hypocrites. Tu les observes de loin, et ça te suffit. Ton argent te dégoûte, tu sais que tu n’as rien fait pour le mérite. Toute l’existence qu’il te reste, tu veux la passer à être utile. T’as commencé par t’enrôler dans l’armée. Ça t’avait définitivement changé. Avec ça, tu avais fait un trait définitif sur celui que tu étais avant. Quand tu étais rentré, pas question de stopper ta mission. Ton argent sale allait servir à faire de grandes choses, et ton diplôme en droit aussi. T’as ouvert un cabinet d’avocat et tu as commencé à défendre les dossiers dont personne ne voulait. Évidemment, t’as quelques grands noms dans tes papiers mais l’essentiel de ton temps, tu le réservais aux pauvres et aux pro bonos. Tu continuais de côtoyer ce monde d’hypocrite mais seulement pour en tirer profit. Ils t’avaient usé jusqu’à la moelle, tu allais leur rendre la monnaie de leur pièce. Et puis t’as eu cette idée, d’investir dans la fac en quelque sorte. Tu voulais qu’elle soit plus bénéfique qu’elle ne l’avait été pour toi, tu voulais que des gens qui le méritent puissent y avoir accès (le fait que t’aies rien branlé ne voulait pas dire que tu n’avais pas apprécié la qualité des cours). Alors tu avais créé un fond boursier que tu finançais régulièrement pour permettre à des étudiants américains ou non de pouvoir bénéficier d’une éducation de choix. Mais tu n’aimais pas faire parler de toi. Tu avais refusé la bibliothèque à ton nom.
Tu avais beau être différent maintenant, tout le monde te voyait encore comme le petit con alors que la seule chose que vous aviez encore en commun devait être les femmes. Les paparazzis te traquaient et tes conquêtes continuaient de défrayer la chronique. Tu ne montrais pas ton agacement, ce qui leur aurait fait trop plaisir, tu jouais le jeu. Quelle importance puisque de toute manière, tu ne t’attachais guère à ces filles ?

Te voilà donc maintenant, un peu comme Batman, un milliardaire taciturne qui œuvre dans l’ombre pour l’humanité et qui ne veut en retirer aucun laurier. Tu souffres, ce monde t’écœure et tu essaies de le rendre meilleur à coup de liasses. Peut-être que tu n’avais pas encore vraiment perdu espoir après tout.