LOGANN + Jeunesse Talking Blues

Pourquoi avez-vous choisi d'étudier à l'université de Chicago ? Jamais je n’aurais pensé mettre un jour les pieds dans cette université, jamais je n’ai eu l’audace de m’imaginer dans le rôle de l’étudiant modèle qui porte des vêtements de marque et qui roule dans une caisse brillante comme le soleil, par conséquent je n’ai jamais eu à former la motivation nécessaire pour m’intégrer dans ce rôle ingrat. Pourtant, il est évident que je ne dirais jamais assez merci à mon tuteur, pour m’avoir balancé dans ce monde qui n’est pas le mien. Il dit qu’il faut passer par là si je souhaite suivre ses traces, construire quelque chose, prendre ma vie en main. S’il le dit c’est sûrement que c’est vrai, j’y crois. Je crois en tout ce qui me donne l’opportunité de ne pas finir comme mon père. La vie ici est bien plus dure que celle offerte par mon tuteur, il fait partie des rares personnes capables de me réchauffer le cœur lorsqu’il est glacé, j’avoue qu’il me manque. J’aimerais beaucoup retourner près de lui, profiter de cette ambiance familiale qui je n’avais jamais connue. Mais je me sens bien ici, je compte accomplir ce pourquoi je suis là. De plus, l’environnement est assez correct pour me débarrasser d’une bonne tonne de mauvaises habitudes.

Quelles sont vos sources de financement universitaire ? Mon père ? Ce n’est pas le genre de personne sur qui on peut compter. Il ne sait rien faire de ses dix doigts, à part se bourrer la gueule bien évidemment. Je pense que toutes ses économies et tout son argent coulaient aisément dans son grand vice adoré : l’alcool. Ma mère, quant à elle, se battait corps et âme pour réussir à nous donner le nécessaire, mais le fruit de sa sueur ne suffisait qu’à remplir un peu nos assiettes et inscrire ma sœur et moi dans le lycée le plus minable du coin. Je sais que je bénéficie d’une incroyable grâce divine, et je ne dirais jamais assez merci à Monsieur et Madame Reynolds de nous avoir recueillis dans leur foyer. Ils sont ma seule source de financement et ça me pince un peu le cœur d’y penser mais je compte bien les rembourser, je suis d’ailleurs dans cette université pour m’en donner les moyens.

Que pensez-vous du système de confrérie ? Je trouve que c’est pas con de diviser les gens dans des groupes d’appartenance, ça m’évite de me retrouver dans l’obligation de côtoyer un intello à lunettes ou une artiste rêveuse. En plus, ça facilite l’intégration je suppose. C’est bien de se retrouver avec des personnes qui ont un peu les mêmes centres d’intérêts que toi, au moins je crois que vous aurez de quoi parler… Bon. Franchement je m’en fous un peu, je suis pas spécialement là pour socialiser mais je me connais, une fois que je m’intéresse à quelque chose je m’y mets à 100%, alors peu importe la confrérie qui me correspond ou qui m’accueille, le plus important pour moi serait que j’en sois fier.

D'ailleurs, faites-vous partie d'une confrérie ? Si oui, depuis combien de temps ? Je viens tout juste d’arriver dans l’université et je pense que je suis bien à ma place chez lez Kappa Alpha Psi. J’aurais bien pu vouloir intégrer la confrérie de gosses de riches hautains, avec ma situation financière actuelle, mais j’ai été éduqué par la rue et si vous chassez le naturel, il revient au galop. Foutre la merde dans l’université, faire du bruit et semer la zizanie, c’est plutôt excitant, c’est parfait, ça m’évitera de m’ennuyer avec mes cours. De toute façon, je suis plutôt solitaire, je me fonds rarement dans la masse, j’aime me discipliner par rapport à mes propres règles (qui sont pas vraiment nombreuses) et je déteste recevoir des ordres, je fais la loi de mon petit monde et qui m’aime me suive. Mon détachement et mon je m’en-foutisme auront bien du mal à faire partie d’un groupe autre que celui-là.

14 Décembre 2011 Il pleut. Il pleut tellement fort, à n’en plus entendre les battements les faibles de nos cœurs meurtris. Des gouttes tristes s’infiltre dans la maison, cognant les seaux que maman a l’habitude de placer là. Ce soir, c’est de pâtes. C’est un peu notre quotidien en même temps. C’est Noël dans dix jours, mais c’est différent, c’est plus comme le peu qu’on avait chaque année. Mes parents, enfin… Ma mère ne se donne plus cœur et âme, je crois qu’elle en a marre, je crois qu’elle est trop fatiguée. Mon père ? Ah non, lui il a pas vraiment changé. Il est toujours dans son fauteuil, il arrive toujours pas à s’exprimer sans hoqueter, il a toujours du mal à se lever. C’est à peine si on peut l’approcher (les odeurs d’alcool, vous savez). « C’est prêt. » Déclare doucement maman. Ma sœur et moi courrons presque vers elle, avec nos vieilles assiettes en main. Faut dire qu’avec ce qu’on a eu ce midi, il y a de quoi avoir le ventre creux. Elle nous sert ce qu’il faut avec un vrai sourire d’affection dessiné sur ses fines lèvres, elle nous noie rapidement dans ses beaux yeux bleus, remplis de l’amour d’une maman et on ne peut que l’admirer. « Allez-y, et mangez tout ! Je vous aime les enfants. » Je cours rapidement vers la table à manger, trop grand ou trop honteux pour lui avouer à quel point je l’aime aussi.
Si seulement je savais.

17 Décembre 2011 Les oiseaux chantent. L’univers est étrangement heureux pour un jour aussi triste. Peut-être que c’est parce qu’elle est enfin libérée.
Oui.
Maman est partie. Et pour toujours.
Ma sœur jumelle, Léo, et moi-même avons les yeux gonflés, c’est dingue, on a pris dix ans de plus en une seule nuit. Papa ? Je me demande s’il réalise. Il avait déjà du mal à se lever de son fauteuil, alors imaginez son incapacité à recevoir les condoléances. Il est comme un étranger, un étranger à la mort, un étranger à la vie, un étranger à tout. C’est comme un meuble qu’on ne peut pas juste jeter à la poubelle.

17 Février 2012 Eh merde. Qu’est-ce qu’est devenue la vie ? C’est vrai que quand je m’assois là et que j’y pense, ça fait peur, ça donne envie de vomir, ça sert le cœur. Je pense que c’était maman qui donnait un peu de couleur à ce tas caca. Elle nous faisait croire qu’il y avait encore un peu d’espoir, elle forçait un peu, j’veux dire, même quand il y en avait plus du tout, même jusqu’à son dernier souffle, elle nous faisait y croire. J’entends des pas lents frotter sur le goudron, le ciel est complètement noir, ça doit être eux. « Hé, qu’est-ce que tu fous là comme ça ? On aurait dit un chien battu. » Glenn. Deux autres de mes potes rigolent doucement à sa remarque pendant que je me lève. « Ouais. Ouais c’est rien, j’réfléchissais un peu. » - « Haha, j’ai ce qu’il te faut, aspire moi ça. Tu verras la vie en rose mon frère. » Un petit sourire apparaît dans le coin de mes lèvres. Je ne souris plus à gorge déployée depuis que maman est partie. Comme si je n’avais plus le droit, plus l’occasion, plus de raisons. Je porte à mon nez la dose de poudre blanche qu’il a sortie d’une petite bouteille en verre et soigneusement placée sur l’écran de son téléphone. On continue d’avancer vers la maison d’un pote qui a perdu ses parents, et qui vit donc seul. Il est largement plus âgé que moi, mais on s’en fout. Ce monde ne se préoccupe pas de ça. Je prends une gorgée rapide de ma bouteille de whisky, j’en cale toujours une dans la poche de mon pantalon. « C’est le grand H 5 étoiles ce soir ! Deux chambres à dispositions et plein de poulettes qui n’attendent que ça. » Glenn est un peu celui parle trop. Il nous fait croire qu’on a de quoi se réjouir et on l’écoute. « Logann ? T’as des feuilles ? » J’hoche la tête et sort tout l’attirail du bon drogué, de quoi ruiner une vie.

14 Août 2015 « Maître Reynolds, avec tout le respect que je vous dois, vous ne pouvez pas prendre les jumeaux Silaïev avec vous. C’est une source de problèmes, ces enfants appartiennent à la rue ! » - «  C’est mon choix. Je dispose des droits nécessaires pour le faire et je ne prends pas cette décision sur un coup de tête. Je sais ce que je fais et vous ne pourrez ne me faire changer d’avis. »

16 Août 2015 Est-ce que je suis dans un rêve ? Il est difficile de croire que je suis passé de la merde à l’or. Non, ce n’est pas de la chance. C’est ma maman qui veille sur nous, par le biais des Reynolds, ils sont comme des anges gardiens sur Terre et je sais à quel point ma sœur et moi leurs sommes redevables.