Princesse, on a murmuré. Une nouvelle princesse est née. Cadette mais sans doute pas dernière d'une fratrie de cinq enfants, elle n'aura jamais la prétention d'accéder au trône. Mais une nouvelle princesse est arrivée au sein de la famille royale du Maroc : Babylone El Khiari.
Néanmoins, les choses se sont rapidement compliquées : Babylone avait ce tempérament de feu qu'ils n'étaient pas surpris de découvrir mais surtout cette propension aux bêtises incroyablement accentuée...
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Eh, Babylone ! Tu viens ?La gamine soupire alors que l'un des enfants du palais la hèle.
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Peux pas. Père et mère ne veulent pas.Elle répond, la mine déconfite.
Le petit garçon tourne les talons, sans avoir l’air particulièrement déçu. C’est toujours comme ça : Babylone n’a pas d’amis parce que ses parents sont trop protecteurs… Ou, quand elle peut (enfin) sortir, ce n’est qu’en la présence d’un gorille surentraîné pouvant lui sauver la vie.
Bien entendu, il y a toujours ses frères et sœurs avec qui elle partage quelques moments privilégiés mais elle se sent incroyablement seule quand même. Alors, elle tente de s’occuper : elle joue à cache-cache avec les serviteurs du palais, faisant pousser des cheveux blancs sur le crâne de ses parents. Elle casse ce qu’elle trouve puis, une fois encore, se cache afin que l’on ne sache jamais que c’est de son fait. Elle essaie de fuir de l’intérieur du palais mais finit toujours pas être retrouvée.
On pourrait croire qu’être Princesse est quelque chose d’agréable ; et pour les autres enfants royaux, ça a l’air de l’être. Mais pour Babylone, c’est loin d’être le cas. Elle ne supporte pas les éternelles leçons de savoir-vivre, l’apprentissage des couverts et autres rudiments pour une jeune fille de bonne famille. Elle ne supporte pas non plus qu’on lui donne des leçons afin qu’elle sache comment être une épouse modèle : elle n’a que dix ans bon dieu ! Surtout qu’elle refuse catégoriquement de devoir dire oui à tout ce que son mari lui demandera.
Autant dire qu’elle n’est pas une bonne élève, ni une élève assidue. La famille Royale ignore ce qu’ils ont loupé dans son éducation… Parce qu’elle est la seule à prendre les choses comme ça et à se rebeller autant. Peut-être est-ce la nourrice qu’ils ont embauchée ? Après tout, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Mais Monsieur et Madame El Khiari n’ont pas de temps à consacrer à ces bassesses. Ce ne sont que les pauvres gens qui éduquent leurs enfants.
Babylone déteste tout ça : elle aime avoir de l’argent et pouvoir avoir tout ce qui lui fait envie mais réprouve l’idée de se faire maquiller tous les matins, que des serviteurs lui donnent son bain et aient tout le loisir de la voir nue alors qu’ils l’emballent dans une serviette chaude et qu’il faille à tout moment demander de l’aide, ne rien faire par soi-même. Baby, elle n’est pas comme ça et refuse d’être une assistée.
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Baby, ma chérie ?Le fauve a la chevelure d’encre se retourne, prêt à mordre.
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Voici le fils Czeslaw. Vous allez vous marier.La gamine recrache la nourriture qu’elle mangeait goulument. Elle a douze ans.
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Quoi ?!Elle hurle, envoyant valser la porcelaine.
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Hors. De. Question.Elle crache, hirsute. Se marier à douze ans… ? Et avec un garçon qu’elle ne connaît pas ? D’ailleurs, elle prête enfin attention au gamin qui la regarde, une moue agacée sur le visage. Il est beau... Différent. C'est un occidental aux prunelles bleues, aux prunelles de feu. Mais ça ne change rien et Babylone voit bien qu’il n’a pas plus envie qu’elle : il a cinq ans de plus et sans doute une ribambelle de filles à ses pieds. Pas la moindre envie d’être enchaîné à une gamine capricieuse.
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C’est le fils d’un PDG d’une multinationale pétrolière. Ce mariage est prévu de longue date et n’aura lieu que dans quatre ans. Ce n’est pas négociable, Babylone. Votre union scellera nos accords commerciaux. Ton avis n’a jamais été requis.La princesse marocaine voit rouge. Elle hurle à s’en casser la voix puis, une fois les oreilles de toute la peuplade rougies par le son strident, elle va s’enfermer à clé dans sa chambre.
Elle est encore naïve, encore jeune ; elle s’imaginait trouver un prince charmant qu’elle épouserait par amour, parce qu’il l’aurait sauvé d’une quelconque façon. Certes, elle peut s’estimer heureuse que son fiancé ne soit pas si âgé mais… Mais ce n’est pas ce qu’elle voulait ! Malheureusement, on demande rarement ce qu’elles désirent aux princesses. Elle se souvient encore de son frère aîné, ayant eu tout le loisir de choisir la femme avec qui il passerait sa vie. Les choses sont bien différentes entre homme et femme.
C’est tellement injuste !
[…]
Babylone, c'est qu't'es sacrément bonne. Mais t'es surtout vachement conne.
T'as donné ton coeur au premier v'nu, et tu t'es perdue.
Ton cœur il s'est asséché comme un verre d'eau au soleil. Ton cœur, tes larmes, c'est devenu le désert.
Ton désert.
La vérité, c'est que tu sais pas aimer. La vérité, c'est qu'on te l'a imposé.
Ton amour, à jamais, pour toujours.
Alors oui, tu l'as épousé. Obligée. Mais t'avais pas envie ; ta vie s'est envolée. Volée.
Lui, il est bien loin de ton désert. Du sable fin dans lequel tu t'es roulée ; dans lequel t'as été enrôlée.
T'es une fille de la chaleur, Babylone. Une fille de la couleur. Une fille de la douleur.
Une fille qu'on a sacrifiée. Une fille scarifiée, pour l'argent.
On dit que l'argent n'achète pas le bonheur. Toi, tu sais : l'argent achète (surtout) le malheur.
L'appât du gain, il a sonné comme un tocsin. Dans tes oreilles, ça a résonné. Puis bientôt, de tes prunelles le soleil s'est enlevé.
Seize ans et déjà piégée.
Seize ans et une vie brisée.
Seize ans et des coups de gueule poussés.
Des cris et des assiettes cassées.
Parce que tu peux pas adhérer. On t'a forcé à l'épouser, mais tu peux pas l'aimer.
T’es bien trop sauvage ; tu refuses d'être sage.
Alors tu le pousses à bout, pour que jamais il ne soit tenté de picorer ton cou.
Jamais tu ne seras sienne ; jamais tu ne seras sa reine.
Toi, tout ce que tu veux, c'est demeurer dans le désert où tu as grandi, où tu as appris la vie.
Adorer le dieu soleil qui réchauffe ta peau, et parfois manquer d'eau.
Être seule au milieu du sable fin, dans une étendue sans fin.
Parce que t'es loin d'être solidaire ; t'es plutôt solitaire.
T'aimes la douceur du silence, et t'aimes surtout
son absence.
Parce que tu supportes pas de le regarder dans les yeux, parce qu'ils sont trop bleus.
Parce que t'as l'impression que si tu le fixes, tu te transformeras en pâte-à-fixe.
Que tu pourras plus jamais le lâcher, que tu deviendras son jouet.
Alors tu montres les crocs, dans sa peau tu fais des accrocs.
Tu le tapes, tu t'en tapes, tu l’enlaces, tu le hais mais t'as envie de l'aimer.
T'es paradoxale, et t'es surtout un peu marginale.
Finalement, t'es une force de la nature qui ne demande que plus d'aventures.
Pour toujours et à jamais, babylone, enfant du soleil, enfant du ciel.Babylone, jamais t'abandonne,
Babylone, dragonne, tu te donnes,
Babylone, surtout pas nonne, encore moins pouponne.
[...]
Et les aventures qu’elle demandait, on les lui a offertes. Mais pas sans conditions : son mari et elle iraient en Amérique pour continuer leurs études. A Chicago.
Babylone se fait une joie de découvrir ce pays dans lequel elle a déjà passé quelques vacances ; seule ombre au tableau : lui. Alors, une fois arrivée et acceptée à l’université, elle fait tout pour l’éviter.
Elle fait des pieds et des mains pour rejoindre les Phi Delta Theta, pour exposer à la face du monde son argent débordant que l’occidental se dépêchera de lui voler, maintenant qu’ils sont liés. Mais dans sa confrérie, elle est inatteignable. Un homme tel que lui n’a rien à y faire : certes, sa famille est riche mais… Mais elle refuse qu’il vienne tout gâcher !
Les choses sont calmes depuis deux ans. Les époux s’évitent, s’arrachent, se déchiquètent. Ils papillonnent à droite à gauche pour mieux blesser l’autre. Pour mieux faire enrager l’autre. La vérité, c’est qu’ils s’aiment peut-être plus que ce qu’ils ne veulent avouer.
Ils sont obligés de garder l’alliance qui trône à leur annulaire : si Babylone venait à s’en séparer, elle reviendrait immédiatement au Maroc. Quant à son mari, il perdrait le soutien de la famille royale et l’accès à leurs puits de pétrole. Ils seraient perdants tous les deux. Alors ils feintent l’amour, ils se montrent pleins de bonnes attentions pour mieux se détester dans l’intimité.
Les années à l’université risquent d’être moins sympathiques que les deux tourtereaux ne se l’étaient imaginé…
Mais c’est pour le meilleur, et sans doute surtout pour le pire.