Moi c'est Christmas mais tout le monde m'appelle Kit, en fait.

Pourquoi avez-vous choisi d'étudier à l'université de Chicago ? La filière qui m'intéressait avec une option difficile à dénicher n'était disponible que dans un lot très restreint d'universités, dont celle de Chicago; de plus la renommée internationale de l'établissement m'a confortée dans l'idée de m'installer ici pour suivre le cursus. Et puis je voyage, je vois du pays, tout ça tout ça. Non sérieusement, en Angleterre, on a aussi une espèce de tradition implicite qui veut que l'inscription dans l'enseignement supérieur se fasse dans une université très éloignée de notre vile d'origine, alors là, on peut dire que je respecte assidûment la coutume.

Quelles sont vos sources de financement universitaire ? Mes parents mais également un petit boulot que je compte obtenir très rapidement parce qu'il faut bien admettre que ce ne serait pas du luxe d'avoir une rentrée d'argent régulière en parallèle de l'aide de mes géniteurs, voilà pourquoi j'ai récemment postulé pour devenir aide bibliothécaire auprès de la bibliothèque du campus. Au moins comme ça, je pourrai travailler dans le calme les lendemains de beuverie et journées de gros mal de tête, yay.

Que pensez-vous du système de confrérie ? C'est plutôt intelligent et pratique, en Angleterre, ce genre d'organisation n'existe pas vraiment ou du moins sous une forme largement édulcorée. Je trouve ça d'autant plus utile que, désormais bien loin de ma ville natale, cela va me permettre de m'intégrer et de connaître un tas de gens cool et de me sociabiliser. Et de faire la fête, cela va de soi.

D'ailleurs, faites-vous partie d'une confrérie ? Si oui, depuis combien de temps ? Pas encore, mais comme je l'ai expliqué il y a un instant, j'aimerais bien en intégrer une. Je trouve rassurant d'avoir une sorte de deuxième famille et de pouvoir former des liens avec beaucoup de monde en faisant partie d'une communauté. Pendant mon vol, j'ai tellement lu et relu les prospectus sur lesquels figuraient les présentations de chaque confrérie que c'est presque si je les connais par cœur, ainsi le choix n'a pas été facile. Mais j'ai bien réfléchi, et celle qui m'a parue la plus accueillante, dans laquelle je me vois évoluer sans difficulté, ma Ohana bis si l'on peut dire, se trouve parmi les Delta Upsilon. Ils ont l'air de savoir profiter de la vie étudiante et d'être sympas les uns envers les autres, alors franchement, comment ne pas vouloir en faire partie ? Bon après, c'est vrai qu'il y a le bizutage, mais bon, cela ne durera pas éternellement alors, je devrais pas trop mal le vivre. C'est vrai que ça dépend de ce en quoi ça consiste, évidemment. J'ai dans l'idée des trucs plutôt bateau, du genre, me faire faire des corvées de nettoyage ou servir les anciens. Et puis pourquoi pas avoir des défis sur plusieurs jours un peu bidon du genre : j'appelle seigneur je-ne-sais quel frère ou sœur et je dois prendre ses cours et faire son boulot à sa place pendant une semaine. Remarque, si jamais la personne en question est en fac de sciences, elle va pleurer en voyant la tarte que je suis en maths et physique alors il vaudrait mieux pas... Ou alors je vais devoir aller voler un bibelot quelconque dans une confrérie rivale sans me faire prendre et le ramener chez la mienne en guise de trophée. Franchement, j'avoue que je m'attends un peu à tout et n'importe quoi. On verra bien ce qu'ils vont décider.

A quelques heures à peine du début de l'année 1997, le réveillon de mes parents dû être interrompu lorsque ma mère sentit qu'enfin, elle perdait les os. Heureuse, bien qu'assez stressée par la longue nuit en perspective, une part d'elle venait d'être rassurée : son unique enfant allait bien voir le jour. Et c'est ainsi que je naquis. Alors elle me nomma Christmas, comme elle et mon père l'avaient prévu depuis plusieurs mois. A l'origine, c'est à cette date que je devais venir au monde mais comme chacun sait, la date précise d'arrivée d'un bébé est une chose ardue à prévoir alors la petite Christmas ne daigna pas pointer le bout de son nez avant le tout dernier jour de l'année. Je grandis à Leeds, avec le plus merveilleux prénom qu'un enfant puisse rêver de porter et pour cause, Noël devenait pour moi une double fête, celle de tous les enfants et celle de mon prénom.

Mais les particularités, aussi belles et riches peuvent-elles paraître à des juges bienveillants, ne sont jamais aussi impopulaires et propices à être choisis comme sujet de moquerie chez les plus jeunes. On s'est parfois moqué, j'ai souvent pleuré, en suis venue à détester mon prénom, mais jamais je n'ai eu la force de détester Noël. Et je pense que jamais je ne l'aurais car enfin, c'est une fête, et si j'ai grandis et que noël a changé de signification je n'en reste pas moins attachée aux célébrations et ce, quelles qu'elles soient. Il y a les fêtes qui y ressemblent : Pâques, Halloween, etc. mais il y a les autres, les fêtes entre amis, en famille, les mariages et j'en passe. Ce que j'aime, c'est de pouvoir me retrouver avec des personnes que j'apprécie et de partager des moments spéciaux avec eux qui deviendront des souvenirs dont je serai satisfaite et pourquoi pas nostalgique.

J'eus une enfance plutôt tranquille, de petite fille modèle : sage, discrète avec un cercle de copines trié sur le volet et toutes parfaitement adorables. Ma scolarité n'eut rien de particulièrement mouvementé non plus. Honnêtement, c'est bien l'aspect le moins palpitant à raconter, et je conviens tout à fait que vous soyez déçu du manque de détails croustillants à aller colporter à la ronde. Vous m'en voyez sincèrement navrée. Si je cherche, je ne vois qu'une seule chose à vous dire qui pourrait plus ou moins tenir du ragot, tant je m'attriste de vos minois blasés : j'ai toujours été célibataire. Pas une seule petite relation en dix-huit ans de vie et presque dix-neuf, si c'est pas du scoop ça, alors je ne peux plus rien pour vous.

Jusqu'à présent, je n'avais jamais quitté le Royaume-Uni, bien sûr j'ai visité du pays et ne me suis pas cloîtrée à Leeds mais c'est la première fois que je traverse l'Atlantique. Plutôt impressionnant pour une grande première quoique cela soit tout justifié : c'est pour ma passion que je choisis de m'expatrier. Mon truc, moi, c'est de rendre les gens différents ; ne vous méprenez pas, jamais je ne prétendrai leur dicter leur comportement, non, tout est une question d'esthétique. Je les transforme selon mon inspiration et je les rends méconnaissables ; enfin pas tout le temps. C'est pour le stylisme et le maquillage ainsi que pour l'occasion de voyager qui m'est donnée que j'ai décidé de m'installer à Chicago. C'est un grand saut dans l'inconnu,  nouveaux lieux, nouvelles têtes, peu voir pas d'attaches à l'horizon et je sais déjà que nombre de choses en Angleterre me manqueront ; encore heureux que j'adore aussi le café. Je suis pas difficile et je pense que je saurais m'adapter sans beaucoup de mal, ma vraie préoccupation, sont plutôt ces histoires de confrérie : je suis impatiente d'y prendre part et de rencontrer autant de personnes que possible.