izabella # you say yes, I say no.

Pourquoi avez-vous choisi d'étudier à l'université de Chicago ? Que celui qui ose dire que j'ai choisi Chicago parte en courant, très vite et très loin. Je n'ai absolument pas choisi de venir ici, d'étudier ici. J'y ai été plus ou moins contrainte, et même si j'apprécie la vie dans le coin, je regrette énormément de choses de New York. La grosse pomme... J'y ai laissé tout un pan de ma vie que je ne voulais pas quitter. Une réputation, une histoire, des souvenirs à n'en plus finir. Et surtout, avant tout, le souvenir de mon père, ou tout du moins les quelques images qu'il me reste de lui. Pourtant, j'ai suivi Thea et maman ici, pour leur faire plaisir, pour ne pas les abandonner. Encore une histoire de mec qui est loin de m'enchanter, mais je me tais, pour changer... Voilà deux ans que je suis là et je commence tout juste à accepter...

Quelles sont vos sources de financement universitaire ? L'université, et tous les autres frais, d'ailleurs, c'est pour la pomme de maman. Il faut avouer que pour ce qui est d'argent, je n'ai jamais eu de soucis à me faire. Cependant, ce n'est pas pour autant que je suis née avec une cuillère en argent dans la bouche. Je connais la valeur du travail, je sais que pour obtenir quelque chose il faut se battre et trimer dur, ne croyez pas que je fais partie de cette élite d'enfants pourris gâtés et complètement imbus d'eux-même. Mais oui, c'est maman qui paye, est-ce un mal en soit ?

Que pensez-vous du système de confrérie ? Une université américaine ne l'est plus réellement si on lui enlève ses confréries. Pour moi, ce système est extrêmement important et doit perdurer. Il permet de rapprocher les gens, et de faire de nos études les plus belles années de notre vie. Des soirées mémorables, des rencontres inoubliables, c'est très probablement grâce aux confréries certaines amitiés éternelles se sont formées, voir peut-être même des couples encore ensemble aujourd'hui. A mes yeux, ce système doit rester, et ne jamais être mis de côté. L'université, à mes yeux, ce sont les confréries avant tout.

D'ailleurs, faites-vous partie d'une confrérie ? Si oui, depuis combien de temps ? A peine arrivée à l'université, il y a de cela deux ans, et donc en dernière année de Bachelor, j'ai immédiatement postulé pour les Delta Upsilon. C'était à mes yeux la confrérie qui me correspondait le mieux et je ne m'étais pas trompée. Très vite, j'ai su m'intégrer et me faire des amis, allant et venant lors des soirées, mon sourire scotché aux lèvres, discutant de tout et de rien avec des inconnus, dans un esprit bon enfant et très "peace & love". J'aime leur côté simple, sérieux mais pas trop, mais surtout impliqué. Je n'y ai rencontré que des gens positifs dans leurs têtes, et ça fait du bien. Comme une seconde famille dans laquelle j'ai envie de rester à jamais. Pour ce qui est du bizutage, je n'ai pas été gâtée... J'ai passé toute une journée en brassière de sport et mini-short, mais surtout entre deux plaques en cartons représentant le plan du campus. Autant vous dire que lorsque les première année vous demande de vous arrêter parce qu'ils « ne trouvent pas le bâtiment 12B », que vous êtes en retard pour les cours et qu'ils sont pliés en deux de vous voir ainsi, vous avez l'air malin. Heureusement que je n'ai pas froid aux yeux et que je garde le sourire en toutes circonstances, j'ai d'ailleurs réussi ce magnifique bizutage avec brillo, et j'en suis fière. Et quand je vois ce que certains subissent depuis que je suis là, je me dis que j'ai eu de la chance, finalement ! Enfin, dans tous les cas, les Delta je ne regrette pas. Et j'avoue que toutes mes plus grosses conneries, je les aurais faites avec eux. En deux ans, j'ai fait plus de choses interdites (ou presque) qu'en vingt ans de vie, c'est pour vous dire !

« Joyeux Noël ! » Ils ont tous ces mots aux lèvres. Tous. Et à chaque fois, je souris, je leur rends la pareille. « Passez de bonnes fêtes ! », « Bon réveillon ! », et plus encore... Des mots qui brillent dans le noir, des mots chantants, et ces visages rayonnants de bonheur. Oh, moi aussi je le suis, mais j'ai mal aussi. Tout cela n'est qu'une surface, une façade. En réalité, personne ne voit, personne ne comprend. Ca brûle, au fond, et tout se consume lentement. Il y a ces pics qui me transpercent le cœur, et cette magie qui le traverse sans faire de bruit, silencieusement, sans rien évoquer, sans rien transmettre, sans rien faire. Néant. Mais comme toujours, dans la rue, sur le campus, partout ailleurs, je garde ce masque qui dit « tout va bien, la vie est belle, ma vie est belle ». Ce masque quotidien qui ne se fissure que rarement, ce masque d'aujourd'hui et de demain que je n'ôte qu'une fois arrivée à la maison. Je ne dois pas craquer, je ne dois pas perdre cette image de modèle, celle de jeune femme parfaite que tout le monde me connaît. Une peau parfaite, des courbes parfaites, une vie parfaite, une famille parfaite. Si seulement... Si seulement tout était si beau, si seulement tout était si simple.

Ce soir, je suis à nouveau assise dans ce fauteuil au beau milieu du salon, mon casque sur les oreilles. Silencieusement, j'observe. Intérieurement, je pleure. J'ai mal de voir Thea sourire ainsi à ma mère, la voir s'amuser à décorer cet immense sapin au beau milieu de notre tout aussi immense appartement. J'ai mal de voir les yeux de maman briller, et au fond, aussi, ça fait du bien. Parce qu'il y a trop de bonheur dans cet appartement, et qu'il n'est pas là pour le voir, pour le sentir, pour le vivre. Parce qu'il devrait être là et qu'il n'y est pas. Parce que c'est injuste, et parce que « c'est la vie » comme on dit.


« Papa,
Jour après jour, les souvenirs disparaissent. Petit à petit, je perds le son de ta voix, les détails de ton visage, la douceur de tes mains sur mes joues. J'ai peur papa, j'ai peur d'oublier. J'ai peur de me réveiller un matin et de ne plus me souvenir de rien. Je suis terrorisée à l'idée de ne plus me rappeler de la couleur de tes yeux, de l'odeur de ta peau, ou même de tes câlins. De tes « je t'aime », de ton rire, de ton sourire. Aujourd'hui, ça fait dix-sept ans que tu es parti, mais ça fait toujours aussi mal malgré mon sourire. Si je fais face ainsi, c'est pour te montrer que je suis forte, que je n'abandonne pas depuis que tu n'es plus là. Beaucoup osent dire « elle était jeune, c'est fou comme ça l'a marquée ». Mais bien sûr que oui, ça m'a marquée ! Pensez-vous qu'une gamine voyant son père partir sans jamais revenir soit psychologiquement stable ? Croyez-vous qu'une gamine passant du jour au lendemain à un seul parent grandisse normalement ? Non, bien sûr que non. Et malgré mes larmes, papa, malgré ma douleur, je suis encore là, je me bats. »


« Mais bordel Iza, bouge toi ! » Je termine de mettre mon rouge à lèvres en quelques secondes à peine avant de me tourner vers Sara avec un immense sourire. « C'est boooon, on se détend ma belle ! » Je lui adresse un clin d'oeil complice alors qu'elle lève les yeux au ciel, désespérée par mon attitude, et me tire hors de ma chambre par le bras. Ce soir, c'est soirée, encore et toujours. Ce soir, on va danser, s'amuser, oublier. Ce soir, je fête mon bachelor, et je compte bien m'éclater.